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méro fut vite trouvée. C’est alors que nous avons acquis la certitude qu’il ne suffit pas d’avoir des collaborateurs pour faire paraître un journal, même littéraire, il faut aussi, et surtout, un imprimeur.

Eh bien ! il ne s’est pas trouvé dans tout Paris un homme assez passionné pour l’art pour entreprendre à ses frais la publication du Décadent !

Pourtant c’était une idée que nous que nous portions en nous, et cette idée nous avons failli la voir périr dans son germe, par l’impossibilité où nous étions d’aucun sacrifice pécuniaire.

Nous ne pouvions pas nous résigner à l’abandon de projets dont nous considérions déjà la réalisation comme une sorte de devoir sacré, et nous passions la majeure partie du temps à échafauder des combinaisons qui s’effondraient bien vite faute d’argent pour les étayer. Les jours, les semaines, puis les mois coulaient et rien, toujours rien, jamais rien. Ah ! si la fortune venait quand on dort… mais la fortune est une prostituée qui ne se donne qu’à des hommes plus dépravés qu’elle même !

Nous avons connu les âpres dégoûts, les désespoirs sans issue des âmes ardentes qui mangeraient l’univers et qui sont condamnées fatalement à l’inertie par les défaillances du corps. Heureusement, pour nous arracher à ce pessimisme glacial, nous avions soin de purifier notre esprit dans l’eau lustrale des bocks ou des verres d’absinthe, douce consolation qui nous dédommageait amplement de l’appréhension d’un déluge futur.

Enfin aucune providence ne nous venant en aide, j’achetai quelques kilos de caractères, des casses et une presse à bras. Je hissai le tout dans ma chambre de la rue Lamar-