Page:Baissac - Le Folk-lore de l’Île-Maurice, 1888.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je crois quelquefois que c’est un fantôme. Je lui ai demandé son nom, il m’a dit qu’il s’appelait Corps-sans-Âme. Mais je ne sortirai jamais de ses mains, parce que jamais personne ne pourra savoir comment s’y prendre pour le tuer. Quand même on le couperait par petits morceaux, que lui importe ? Les morceaux se rejoindraient et se recolleraient. Pour le tuer, il faut savoir où est son âme. Son âme est dans un œuf, l’œuf dans un pigeon, le pigeon dans le corps d’un tigre rouge, le tigre rouge dans le corps d’un grand tigre blanc. Il faut tuer le tigre blanc ; le tigre blanc mort, le tigre rouge s’élancera sur vous tandis que vous êtes encore tout fatigué du combat, il faut le tuer aussi. Alors le pigeon s’envolera ; il faut le poursuivre, l’atteindre et le tuer, puis prendre l’œuf. En dernier lieu, pour la fin de l’aventure, il faut casser l’œuf sur la tête du Corps-sans-Âme. Alors, mais alors seulement, il tombera mort. Mais quel homme pourra faire tout cela ?

— Tu demandes quel homme tuera ton loup ?… Moi. Je crois parfois que tu as oublié mon nom, Colle-des-Cœurs, je m’appelle Peur-de-Rien. Fais tes préparatifs : avant trois jours, je serai de retour ici avec l’œuf de ce pigeon ; j’en ferai une omelette sur la tête du loup. Fais tes préparatifs, te dis-je ! Mais il n’y a pas de temps à perdre : laisse-moi partir.