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Un jour que Brigand essayait un fusil neuf, le fusil éclate entre ses mains ; la poudre lui saute à la figure et lui brûle les yeux. Tous les soldats le laissent là et décampent. Il lave ses yeux, il les bassine, peine perdue ! ils sont bien bouchés. Un seul œil distingue encore un peu, mais rien que les gros objets ou les objets brillants.

Brigand est seul, au milieu d’un autre pays qu’il ne connaît pas. Il se coupe un bâton et marche en tâtonnant. Sa misère n’a pas de nom.

À force de marcher, il arrive encore dans un autre pays. Un jour qu’il allait tâtant son chemin, il rencontre un homme. C’était Tranquille. Tranquille le regarde, le regarde encore. Le soupçon lui est venu que ce pauvre estropié pourrait bien être son frère Brigand. Il le fait parler : c’est la voix de Brigand, la voix de son frère !

Tranquille avait le cœur bon. Il embrasse Brigand en pleurant et lui dit :

— Mon frère, Dieu a eu pitié de toi. C’est moi Tranquille, moi : ton jeune frère ! Je suis sûr que la misère t’a corrigé à cette heure. Viens chez moi ! je te donnerai tout ce dont tu as besoin ; tu ne manqueras plus de rien désormais.

Il faut que vous sachiez que Tranquille avait épousé la fille d’un roi. Sa maison était riche, vraiment riche ; une maison, pour tout dire, où l’on mangeait du pigeon.