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Le petit Chaperon-Rouge, mangé par le loup, est une douloureuse exception. L’esthétique du genre veut que le faible finisse par avoir raison du fort ; et de même qu’il a le bon droit de son côté, de son côté aussi est l’esprit, c’est-à-dire la ruse, car esprit et ruse ne sont qu’un pour nous, et celui-là est le plus spirituel qui sait le mieux tromper. Pour nous expliquer cette confusion, songeons au milieu, aux conditions sociales où se sont développées ces littératures populaires. Là-bas, l’oppression de toutes les féodalités, ici l’esclavage : c’est-à-dire la lutte ouverte impossible, la ruse seule laissée pour arme à l’opprimé. Il spécule donc sur les vices, sur les travers de ses oppresseurs. Le Chat-Botté, flattant la vanité de l’ogre, l’amène à se changer en souris : il saute dessus et l’avale ; le lièvre entre dans le corps du roi éléphant, lui ronge le cœur, le tue, et prononce son oraison funèbre.

Peu d’émotion ; la sensibilité presque nulle : les malheurs de nos héros nous laissent assez froids. C’est que la vie, par sa cruelle homéopathie, a singulièrement émoussé la pitié dans nos cœurs. Nous avons trop à faire de nous apitoyer sur nos propres maux, pour qu’il nous reste le loisir de nous attendrir beaucoup sur les souffrances fictives de nos personnages. Quand nous pleurons, ce qui nous arrive, car nous avons les larmes faciles, les pleurs viennent des yeux, rarement de plus loin. Aussi, lorsqu’au