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Dans cet emploi, on le sait, la nécessité d’avoir du talent ne s’impose pas aux gens, et ils s’en souviennent.

Il en est autrement de la fable, de cette comédie dont les personnages sont des animaux. Lindor, comme animalier, est loin d’être un artiste sans valeur. Nous oserions même affirmer que s’il eût vécu là-bas au moyen âge, il aurait ajouté une branche de sa façon au grand roman du Renard, et qui certainement ne serait pas la plus mauvaise. Seulement il lui aurait donné un titre nouveau « Compère Yève », car c’est le lièvre qui est le vrai renard de l’Ysopet mauricien.

Nous nous sommes souvent demandé comment le lièvre, ce timide, qui, aussi bien chez nous qu’en tout pays, est douteux, inquiet, au point qu’une ombre, un rien, tout lui donne la fièvre ; comment ce mélancolique, hanté jour et nuit, sans fin ni trêve, par l’effroyable cauchemar de la casserole et de la broche ; comment ce simple, dont la suprême malice consiste à avoir, dans notre île comme dans l’île de Barataria en terre ferme, la viande noire, partant indigeste ; nous nous sommes souvent demandé comment ce pauvre lièvre est devenu, non seulement à Maurice, mais à la Martinique, à la Guadeloupe, et sans doute dans bien d’autres colonies encore, le type même de la ruse, et de la ruse spirituelle, gouailleuse, vantarde, notre renard enfin.