Page:Baissac - Le Folk-lore de l’Île-Maurice, 1888.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait jamais défaut : à preuve, la langue même que nous parlons, notre patois créole, qui ne vit que d’images.

Nous avons d’autres qualités encore, et quelques-unes ne sont rien moins que banales. Ainsi, nous savons faire parler nos personnages, c’est-à-dire donner à chacun le langage qui lui convient, ce qui n’est pas un mérite littéraire médiocre. Il est bien entendu que pour établir, pour poser nos caractères, nous ne faisons point de psychologie ; nos types ne sont ni bien variés, ni bien curieusement étudiés ; pour mieux dire nous les acceptons tels que la tradition nous les offre. Mais une fois la marionnette reçue et mise en place, le bonhomme tient debout et demeure jusqu’à la fin conséquent avec lui-même.

En tout avec soi-même il se montre d’accord,
Et reste jusqu’au bout tel qu’on l’a vu d’abord.

Vous n’en inférez pas que ppâ Lindor sait par cœur son Art poétique : ce sont rencontres de deux beaux génies, voilà tout.

Cette teneur, cette unité dans la composition des caractères se manifestera moins bien dans le conte proprement dit que dans la fable. Lindor, en effet, s’entend assez mal à faire la figure humaine. Son héros favori, « Ptit Zean » lui-même, manque de relief ; il est monotone quelque rôle qu’on lui confie ; et on lui en donne beaucoup, car c’est ce qu’en langage de théâtre on appellerait une grande première utilité.