Page:Bainville Les conséquences politiques de la paix 1920.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX

soixante millions d’Allemands[1] formant un seul État, ayant derrière eux un grand passé, sont condamnés à payer une redevance dont le règle­ment s’étendra sur deux : générations au moins. Juste et même insuffisante pour nous, cette redevance est ressentie comme exorbitante et inique par l’Allemagne. À mesure que s’éloigneront les souvenirs de la guerre et l’impression de la défaite, la force de ce sentiment croî­tra. Nul n’y peut rien. Une autre fatalité l’a voulu. Insensés seraient les Français qui compteraient­ sur l’amitié du peuple allemand devenu leur débiteur, qui compteraient même, chez le vaincu, sans le désir naturel de déchirer un traité qui l’obligera à travailler trente ou cin­quante ans pour acquitter sa dette. Il faudrait, pour le contenter, qu’elle fût réduite à zéro. Alors c’est nous qui souffririons, qui serions ruinés, qui prendrions la place des vaincus. Et l’Allemagne, disposant de ses ressources, en profiterait pour annuler les autres clauses du traité. C’est un cercle vicieux.

À ces soixante millions d’hommes, citoyens d’un même pays, il n’a pas fallu seulement im­poser le tribut. Il a fallu encore prendre contre eux des précautions légitimes et indispensables. Il a fallu fixer le nombre de soldats et de canons qu’ils auraient le droit de conserver et, par con­séquent, limiter le droit de souveraineté de

  1. « Douze à quinze de trop pour le territoire », disait Arthur Heichen dans la Neue Zeit du 5 octobre : quelques mots qui ouvrent d’étranges horizons.