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CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA PAIX

De Michelet à Jean Jaurès, une école ininter­rompue a enseigné chez nous qu’une Allemagne dont les aspirations nationales seraient à la fois satisfaites et contenues dans leurs justes limites devrait vivre non seulement en bon voisinage, mais en amitié avec la France, cette grande Allemagne étant nécessaire à l’harmonie morale du monde. « Dieu nous donne, disait Michelet[1], de voir une grande Allemagne !… Le concile européen reste incomplet, inharmonique, sujet aux fantaisies cruelles, aux guerres impies des rois, tant que ces hauts génies de peuples n’y siègent pas dans leur majesté, n’ajoutent pas un nouvel élément de sagesse et de paix au fra­ternel équilibre du monde. » Qu’a-t-il manqué à ce rêve ? Michelet a vécu assez pour le voir. En février 1871, il écrivait sous le coup de la désillusion : « Pour nous, nous avions toujours désiré l’unité de l’Allemagne, l’unité vraie, con­sentie, non cette unité sauvage, violente, indignement forcée ». Et il rappelait, pour comparer ses sentiments d’alors à ceux de la veille, son émotion, l’émotion de Paris républicain « quand, à la fête du 4 mars 1848, nous vîmes devant la Madeleine, parmi les drapeaux des nations, qu’apportaient les députations d’exilés de chaque pays, le grand drapeau de l’Allemagne, si noble, noir, rouge et or, le saint drapeau de Luther, Kant et Fichte, Schiller, Beethoven… » Ce drapeau noir, rouge et or, c’est celui qu’a

  1. Dans son livres Nos fils dont la préface est datée d’octobre 1860.