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HYPOTHÈSES ET PROBABILITÉS

Constantinople devait revenir à la Russie. Que fût-il arrivé si la Russie était restée fidèle à l’En­tente jusqu’à la fin et si, victorieuse avec nous, elle avait réclamé son lot ? Elle ne l’eût sans doute pas eu davantage que nous n’avons eu le nôtre sur le Rhin, et l’on se fût tiré d’affaire en recourant à l’expédient ordinaire et en maintenant l’intégrité de la Turquie par raison d’État européenne. Les Turcs ont peut-être perdu plus qu’ils ne pensent à l’effondrement de l’Empire russe. En Orient aussi il y avait un équilibre classique, qui neutralisait les convoitises, et que rien n’a encore remplacé.

Après de longues hésitations, étendant la main pour la retirer ensuite, l’Angleterre n’a pas osé se saisir de Constantinople. Elle l’a mise seulement à portée des Grecs, ses hommes de paille. La ville reste au sultan ou plutôt le sultan reste dans la ville. Mais quelle est son autorité ? Où sont les Turcs qui lui obéissent ? Les Grecs le cernent jusque dans la banlieue de sa capitale. Une commission internationale, la Commission des Détroits, est plus souveraine que lui. Des forces d’occupation, avec un com­mandement interallié, resteront en permanence sur le Bosphore. Théoriquement, Constanti­nople ne doit être à personne. Il faudra bien qu’un jour elle soit à quelqu’un. Le système qui consiste à internationaliser les points sensibles de la carte remplace un équilibre naturel qui a disparu, par un équilibre artificiel. C’est une solution provisoire. C’est une transition.