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J’ai connu une tasse, une très jolie tasse en vieux saxe, accompagnée de sa soucoupe. Je me la rappelle très bien. Elle portait des giroflées jetées sur la pâte d’un mouvement gracieux. Des coccinelles prêtes à s’envoler étaient posées sur les bords. Et, derrière, on voyait, signe d’authenticité, les deux épées bleues qui se croisent.

Autrefois, il y en avait eu douze, et chacune était peinte d’une fleur différente. Ce service avait appartenu à une reine qui prenait un jour son thé lors­que le roi son mari lui annonça qu’il convoquait l’assemblée du peuple. La reine, qui était pour l’autorité, entra dans une si grande colère qu’elle en brisa la tasse aux tulipes. Et elle pleura quand elle vit les morceaux de la por­celaine. « Ainsi, dit-elle, en sera-t-il du trône de mon fils. »

La tasse aux violettes périt par la timidité d’un jeune prince le jour où il déclara sa flamme à la dame d’honneur qui avait été choisie pour le déniaiser. À peine avait-il dit : « Je vous aime, » que cette docile personne s’appuya sur lui tendrement. Le jeune prince fut si ému que ses mains tremblèrent et le fragile chef-d’œuvre de Meissen joncha le parquet de ses débris.

La tasse aux pavots fut mise à mal par l’usurpateur qui la jeta à la tête d’un plénipotentiaire du roi de Prusse. Cette scène historique, reproduite par la gravure, orne les biographies de l’il­lustre capitaine.

L’injure du temps est moins redou­table que la brutalité, la maladresse et la négligence des hommes. Une à une, les pièces du service disparurent. Lors­que le palais royal fut pillé, au lende­main d’une insurrection, il ne restait plus que la tasse aux œillets et la tasse aux giroflées. Un émeutier s’en empara et les mit dans ses poches. S’étant enivré en route, il tomba, et, de la porcelaine aux œillets, ne rapporta que des tessons. Sa femme prit les giroflées qui, par miracle, étaient intactes. Mais n’ayant pas la conscience tranquille parce que c’était le fruit d’un larcin, elle les cacha dans son armoire : « Pour que je puisse, se dit-elle, vendre sans péril cet objet volé, il faudra une guerre ou une autre révolution. »

Elle n’eut pas à attendre beaucoup.