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vieillards et des hommes mûrs collaborer avec de plus jeunes hommes, et, par l’influence que donnent l’expérience des affaires et l’autorité acquise, les idées et les sentiments de la période antérieure s’imposent encore après que les institutions et les mœurs semblent avoir subi une transformation complète. Pour comprendre la politique de la Révolution, il faut tenir avant tout le plus grand compte de ce fait que les hommes auxquels elle dut sa direction initiale et le coup de barre qui allait marquer sa route pour vingt-cinq ans apportaient des idées et des préjugés formés sous l’ancien régime. Ces Français étaient directement sous l’influence de l’opinion qui avait régné une vingtaine d’années plus tôt. Ils représentaient le mécontentement qui s’était manifesté à la fin du règne de Louis XV, et c’est à ce mécontentement-là qu’ils devaient avoir une tendance naturelle à obéir. Des deux hommes qui, en 1792, ont engagé la Révolution et la France dans une voie si fatale, l’un, Dumouriez, avait à cette date cinquante-trois ans, l’autre, Brissot, en avait trente-huit. Tous deux étaient nés au monde intellectuel au moment où, comme nous l’avons vu, la France était entrée en désaccord avec la monarchie au sujet des alliances. Avec tout l’ensemble du grand public, ils s’étaient nourris de la passion anti-autrichienne et prussophile. Arrivés au pouvoir, c’est cette passion, la grande passion de leur âge ardent, celui où se forment toutes les idées de l’âge mûr, qu’ils eurent à cœur de satisfaire.

C’est en ce sens qu’il faut entendre le « principe de continuité » dont Albert Sorel, dans le grand ouvrage historique qui a fait sa réputation, a établi qu’il était la loi et le principe directeur de la Révolution française. À la vérité, la Révolution, dans son œuvre européenne, n’a pas continué l’ancien régime : elle a prétendu le continuer en le corrigeant. Elle a voulu, par le plus curieux des phénomènes, revenir aux pures traditions de la politique française, altérées par les deux derniers rois depuis le renversement des alliances. En ce sens, la Révolution a été réactionnaire. À quel point la date de 1756 en domine le cours,