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de Rousseau. L’idée du droit naturel présentait les constructions de la politique, les modestes abris de la diplomatie comme autant d’entraves monstrueuses à la souveraine bonté de l’homme tel qu’il vient au monde, encore pur des corruptions de la société. C’étaient les traités, les combinaisons, les inventions des rois et des aristocrates qui entretenaient les conflits, engendraient les guerres détestables. Ainsi parlaient le Contrat social et la doctrine roussienne, dont Voltaire disait qu’elle donnait envie de marcher à quatre pattes. Qu’on laissât faire les peuples, les races se former en nations dans les limites fixées par la nature, et l’humanité connaîtrait enfin la paix. Frédéric, qui avait profité de la vogue de l’Encyclopédie comme champion des lumières, eut le bénéfice du Contrat social comme champion du germanisme. Des contemporains, des disciples de Rousseau, Raynal, Mably, dont les livres eurent un succès immense (Napoléon Ier devait s’en nourrir), répandirent le principe qui allait devenir fameux sous le nom de principe des nationalités. Dès lors, en France et hors de France, la cause du libéralisme et de la révolution et la cause des Hohenzollern furent liées. Et ainsi les philosophes flattaient les goûts misonéistes et la naïveté des foules. Ils paraissaient « avancés », ils figuraient le progrès en face des forces réactionnaires (Bourbons, Habsbourg), alors qu’en servant la cause de la Prusse leur pensée enfantine et sommaire préparait un retour de la barbarie et ménageait à la civilisation et aux générations à naître les plus sombres destinées.

Le fait que les écrivains émancipateurs du XVIIIe siècle, en dépit de leurs prétentions à représenter les « lumières », n’ont pas vu, ont refusé de voir le péril prussien, est écrasant pour leur philosophie politique. Non seulement de pareils esprits devaient exposer la France à des catastrophes le jour où ils en auraient le gouvernement, mais leur erreur même prouvait leur inaptitude à comprendre la marche des choses et à servir le progrès dont ils s’étaient réclamés. En se retournant contre la Prusse et en se rapprochant de l’Autriche, la monarchie française avait repré-