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l’ancêtre de Guillaume II, s’emparant de la Silésie, avait recueilli les applaudissements des « philosophes ». La théorie des traités considérés comme des « chiffons de papier », avant d’être blâmée chez Bismarck et chez M. de Bethmann-Hollweg, n’indignait ni Voltaire ni d’Alembert, ni aucun des partisans du « droit naturel », quand elle était exposée et mise en pratique par Frédéric II, idole des esprits libéraux. Mais quoi ! le droit que violait Frédéric n’était pas un droit de nature. C’était le statut de la société européenne, c’était la loi sur laquelle vivait le monde européen, c’était un progrès obtenu par les armes mises au service de la raison, c’était l’ensemble des conventions qui, telles quelles, rendaient l’Europe à peu près habitable, assuraient à la France une place privilégiée, épargnaient à ses habitants le fléau des invasions et son corollaire, le fléau de la paix armée. L’apparition de la politique prussienne annonçait pour l’Europe et la civilisation les maux les plus terribles, les menaçait d’une rechute dans la barbarie. 1740, 1870, 1914 apparaîtront certainement aux historiens futurs dans leur connexité, dans leur rapport étroit. Nos rois, nos diplomates l’avaient compris. Il est humiliant pour l’opinion publique du peuple le plus spirituel de la terre qu’elle n’en ait pas eu même le sentiment.

La protestation de Marie-Thérèse contre le rapt de la Silésie était pourtant éloquente. Elle ressemblait singulièrement à celle du roi des Belges demandant secours contre Guillaume II. La reine appela toutes les puissances, et, en premier lieu, celle qui garantissait l’équilibre européen, à réprimer le brigandage prussien. « Un envoyé autrichien, disait la reine, était encore à Berlin, quand, à la faveur même de cette apparence pacifique, le roi de Prusse a envahi un sol étranger et troublé le repos d’une province amie. On peut juger par là quel sort menace tous les princes, si une telle conduite n’est pas châtiée par leur effort commun. Il ne s’agit donc pas de l’Autriche seule : il s’agit de tout l’Empire et de toute l’Europe. C’est l’affaire de tous les princes chrétiens de ne laisser briser impunément les liens les plus sacrés