Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moment des traités de Westphalie, formellement condamnés par l’Église, rejoignait le point de vue de la politique française dans les affaires d’Allemagne. S’il n’avait tenu qu’à Rome et à la France, aux deux plus hautes autorités de la civilisation européenne, la puissance prussienne eût été étouffée au berceau, le monde n’eût pas connu le fléau prussien. « Nous manquerions à notre devoir si nous passions sous silence une chose pareille », disait Clément XI dans son bref du 16 avril 1701. Ainsi la Prusse était désignée par le pape et par le roi de France, c’est-à-dire par les deux éléments chefs de l’ordre, comme un péril public pour l’Europe. Cette royauté, surgie en dehors de la société de nations et en violation du principe d’équilibre établis au XVIIe siècle par l’effort de la France, était véritablement révolutionnaire. Poussée, comme tout ce qui vit, à se développer et à grandir, elle ne pouvait le faire qu’au prix des bouleversements les plus graves et les plus sanglants. Elle ne pouvait frayer sa voie qu’en foulant aux pieds toutes les conventions établies, et la guerre devenait nécessairement, dès ce moment-là, son « industrie nationale ». C’est un fait que le sombre avenir réservé par la Prusse au monde européen aura été entrevu par la monarchie française et par la papauté.

Lorsque celui qui devait être appelé Frédéric le Grand eut succédé à son père, notre représentant à Berlin, le marquis de Beauveau, fit tenir à son gouvernement un rapport détaillé, et dont tous les traits sont d’une justesse étonnante, sur le nouveau roi. Le personnel diplomatique de l’ancien régime a toujours montré, comme en témoignent les documents, une instruction et une application supérieures. Le marquis de Beauveau avertissait donc qu’on n’eût pas à se méprendre sur le compte de Frédéric II d’après ce que ce prince avait fait connaître de lui quand il n’était qu’héritier présomptif de la couronne et que ses escapades, ses difficultés avec son redoutable père étaient la fable de l’Europe. Beauveau présentait Frédéric tel qu’il devait se révéler : ambitieux, profond calculateur, habile à dis-