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un honteux souvenir le long règne de l’influence et de la civilisation françaises au delà du Rhin. « Le patriote allemand, dit Biedermann, ne peut qu’en rougissant reporter son regard sur l’époque où, tandis que Louis XIV annexait des terres d’Empire avec une ambition altière, la fleur de la noblesse allemande lui rendait hommage et se sentait très honorée lorsque le dernier de ses courtisans daignait approuver tant d’efforts pour singer la cour de France. » La princesse palatine trouva à Paris sept princes, quatre comtes, dix gentilshommes de son pays. Par la suite, le nombre de ces courtisans s’accrut…

Qui croirait aujourd’hui que les Allemands de ces temps-là regardaient « comme un honneur de servir dans l’armée française » (le mot est d’un contemporain du grand Frédéric, Charles-Ferdinand de Brunswick). Sous les ordres du roi de France, des milliers d’entre eux firent, pour notre compte, campagne dans leur propre pays. Le nom célèbre du maréchal de Saxe est témoin de la fusion à laquelle était parvenue l’Europe, qu’un contemporain appelait l’« Europe française ». Les tentatives d’internationalisme auxquelles nous avons assisté de nos jours, et qui se sont terminées par une des plus effroyables mêlées qui aient assailli l’ancien monde, sont d’une médiocrité et d’une fausseté dérisoires à côté de ces résultats. L’Allemagne impériale, telle qu’elle était sortie de ses victoires de 1870, s’était sans doute flattée, elle aussi, de rendre l’Europe allemande par la domination des armes et la supériorité de son « organisation ». La France s’était servie d’une autre méthode : disposant de la puissance, elle avait agi par la persuasion. À l’Allemagne dévastée par la guerre de Trente Ans, elle était apparue comme une bienfaitrice. Louis XIV ne laissait pas refroidir ce qu’il nommait « son zèle pour la manutention de la liberté germanique », et il savait distribuer à propos des subsides aux princes, aux ministres, aux savants, aux gens de lettres allemands. Parlant d’Hevelius, Voltaire écrit avec malice : « Parmi les grands hommes que cet âge a produits, nul ne fait mieux voir que ce siècle peut être