Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
LES CAPÉTIENS ET L’ANARCHIE ALLEMANDE

étant loin du trône, un Empire allemand héréditaire proclamé à Versailles. Telle est la chaîne d’airain où s’attachent les grandes dates de notre histoire.

Près de cent ans après Bouvines, le problème allemand se posait de nouveau, et dans des termes presque identiques, à la monarchie française. Mais, durant le XIIIe siècle, la puissance capétienne s’était accrue autant qu’avait encore baissé la force allemande. Philippe le Bel, continuant la politique de Philippe Auguste, n’avait plus, grâce à la victoire de 1214, le péril d’une invasion à craindre. À l’entreprise méthodique de division et d’affaiblissement de l’Empire déjà pratiquée par son prédécesseur, il n’eut besoin que d’appliquer les ressources de la diplomatie. C’est pourquoi, aux prétentions et à l’ultimatum d’Adolphe de Nassau, Philippe le Bel se contenta de répondre, d’un mot qui mériterait d’être plus célèbre : « Trop allemand ». Les Chroniques de Saint-Denis rapportent cette anecdote, presque inconnue et que tous les enfants de France devraient apprendre à l’école, en ces termes d’une spirituelle ironie : « Quand le roy de France ot receues ces lettres, si manda son conseil par grant deliberacion et leur requist la response des dites lettres. Tantost les chevaliers se départirent de court et vindrent à leur seigneur (Adolphe de N.), lui baillèrent la lettre de response ; il brisa le scel de la lettre qui moult estoit grant. Et quand elle fut ouverte, il n’y trouva riens escript, fors : troup alement. Et ceste réponse fut donnée par le conte Robert d’Artois avec le grant conseil du roi[1]. »

D’où venait tant d’assurance et tant d’audace ? Comment le Capétien pouvait-il se permettre de répondre d’un ton si cavalier à l’Empereur germanique ? C’est que le roi de France avait

  1. Il ne s’agit pas d’une légende. Alfred Leroux (Recherches critiques sur les relations politiques de la France avec l’Allemagne de 1292 à 1378) a établi que cette mémorable réponse de Philippe le Bel fut bien envoyée et remise à l’Empereur, comme les Chroniques de Saint-Denis le disent. Les Chroniques de Flandre nous apprennent même que plusieurs seigneurs français jugèrent que cette réponse était inconvenante et de mauvais goût : l’esprit de critique sévissait déjà chez les gens du monde.