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salut en la débarrassant du militarisme, des Junkers, des Hohenzollern. Elle a payé un prix élevé pour sa délivrance. Je crois qu’elle trouva que cela en valait la peine. »

Fondée sur de pareilles illusions, est-il étonnant que la paix ait laissé tant de déboires aux vainqueurs ? Voici, en regard, ce qu’était la réalité.

Une Allemagne diminuée d’environ 100 000 kilomètres carrés, mais qui, sur ce territoire réduit, réunissait encore 60 millions d’habitants, un tiers de plus que la France, subsistait au centre de l’Europe. L’œuvre de Bismarck et des Hohenzollern était respectée dans ce qu’elle avait d’essentiel. L’unité allemande n’était pas seulement maintenue mais renforcée. Les Alliés avaient affirmé leur volonté de ne pas intervenir dans les affaires intérieures allemandes. Ils y étaient intervenus pourtant. Les mesures qu’ils avaient prises, la voie qu’ils avaient montrée, celle de la République unitaire, avaient eu pour effet de centraliser l’État fédéral allemand et d’affermir les anciennes annexions de la Prusse dans le Reich lui-même. S’il y avait, parmi les populations allemandes, des aspirations à l’autonomie, elles étaient étouffées. Le traité enfermait, entre des frontières rétrécies, 60 millions d’hommes unis en un seul corps. Telle fut l’Allemagne au nom de laquelle deux ministres de la nouvelle République vinrent signer à Versailles, le 28 juin 1919.

Du fond de la Galerie des Glaces, Müller et Bell, de noir habillés, avaient comparu devant les représentants de vingt-sept peuples assemblés. Dans le même lieu, sous les mêmes peintures, l’Empire allemand avait été proclamé quarante-sept ans plus tôt. Il y revenait pour s’entendre déclarer à la fois coupable et légitime, intangible et criminel. À sa condamnation il gagnait d’être absous comme si la forme républicaine eût suffi à le rénover.

Obscurs délégués d’une Allemagne vaincue mais toujours compacte, Müller et Bell, comparaissant devant ce tribunal, pensaient-ils à ce que la défaite laissait survivre d’essentiel