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d’être chassé Guizot, un des fonctionnaires de la maison, le plus haut en grade, le plus expérimenté, qui avait été un des ouvriers de l’accord avec Metternich, déclara au ministre nouveau, après lui avoir passé les services, qu’il n’avait plus autre chose à faire que de donner sa démission. « Pas du tout, répliqua Lamartine avec vivacité. Vous êtes notre maître et c’est vous que je veux consulter. » Étonnant hommage rendu à Guizot et à Louis-Philippe ! Après les avoir renversés, Lamartine devait s’inspirer d’eux dans son bref passage aux affaires. Comme eux, il allait s’opposer à la « politique que le peuple élaborait depuis 1815 » et que la démocratie victorieuse croyait voir triompher avec lui. Le poète, converti au bon sens par sa responsabilité, devait désavouer les propagandistes révolutionnaires, leurs coups de main en Savoie et au delà du Rhin, adjurer le peuple de songer à la France avant de songer à l’Allemagne, à l’Italie, à l’Irlande, à la Pologne… Dans sa longue et mélancolique retraite, le poète s’est-il jamais dit que sa brutale disgrâce, son impopularité cruelle étaient venues de là ? A-t-il compris que l’élection foudroyante de Louis-Napoléon tenait à la promesse que, dès l’affaire de Strasbourg, celui-ci avait solennellement apportée, lorsque l’héritier du nom napoléonien s’était présenté comme l’exécuteur du testament de Sainte-Hélène, lorsqu’il avait juré « de vaincre ou de mourir pour la cause des peuples » ? Lamartine a-t-il entendu le sens des clameurs que la foule élevait contre lui dans cette journée du 15 mai où sa gloire sombra ? A-t-il su pourquoi, à l’élection du 10 décembre, l’homme de Strasbourg avait été élu, tandis que lui, le héros de février, n’obtenait qu’une poignée de suffrages ? Il se peut… Lamartine n’en a jamais rien dit. Il ne s’est jamais plaint, pas plus que ne s’étaient plaints Louis-Philippe ou Charles X. Il a dédaigné d’expliquer ce qu’il avait voulu faire pour son pays. Il a emporté son secret.

Il a fallu que la démocratie trouvât dans un deuxième Napoléon son fondé de pouvoir pour que sa politique prévalût, pour