Page:Bainville - Histoire de deux peuples.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.

appelait avec sagesse « la lutte d’un contre quatre ». Mais, Thiers ayant offert sa démission au roi qui lui refusait « sa » guerre, Louis-Philippe ne voulut pourtant pas qu’il fût dit que le ministre dont il n’approuvait pas la politique eût quitté les affaires sous la menace de l’étranger. Ce fut Thiers encore qui, en octobre 1840, procéda aux préliminaires de l’arrangement très honorable par lequel notre protégé Méhémet-Ali, en échange de la Syrie restituée au Sultan, recevait l’investiture héréditaire pour l’Égypte que les puissances, en juillet, voulaient lui retirer. Thiers ne quitta le pouvoir qu’après un discours où, par une dernière rodomontade, et pour sauver l’échec, il se plaisait encore à braver l’Europe[1].

La monarchie avait préservé la France d’une guerre désastreuse, du Waterloo ou du Sedan dans lequel l’eût jetée l’aveuglement de l’opinion, aggravé par l’amour-propre des chefs politiques, exploité par le régime des partis. Cependant l’entreprise guerrière dans laquelle Thiers, par vanité, eût lancé tout un peuple, laissait en Europe des ferments dangereux pour la France. En Allemagne, le nationalisme en resta longtemps exalté. C’est ce que Metternich observait avec sa pénétration et son ironie hautaine : « M. Thiers, disait-il, aime à être comparé à Napoléon. Eh bien ! en ce qui concerne l’Allemagne, la ressemblance est parfaite et la palme appartient même à M. Thiers. Il lui a suffi d’un court espace de temps pour conduire ce pays-là où dix années d’oppression l’avaient conduit sous l’Empereur. » Et Henri Heine n’en jugeait pas autrement que le technicien de la Sainte-Alliance : « M. Thiers, a-t-il écrit, par son bruyant tambourinage réveilla notre bonne Allemagne de son sommeil léthargique et la fit entrer dans le grand mouve-

  1. On trouvera au tome III du Manuel de politique étrangère de M. Émile Bourgeois une appréciation équitable du rôle joué par la monarchie de Juillet dans cette crise. M. Bourgeois, entre beaucoup d’autres citations qui sont à l’honneur de Louis-Philippe, reproduit ce mot de Guizot auquel il semble s’associer : « …Un service immense rendu au pays, service analogue à ceux que la couronne lui avait rendus plusieurs fois en de semblables circonstances. »