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légende absurde, mais efficace) les services qu’elle avait, disait-on, reçus de lui. Sans égard à ce qu’avait déjà fait la Restauration ni à ce qu’elle projetait encore pour réparer, avec l’aide du temps et des circonstances, les dernières conséquences de Waterloo, les hommes de l’opposition libérale ne craignirent pas de recourir à cette arme pour servir leur ambition personnelle, grandir leur popularité et conquérir le pouvoir à n’importe quel prix.

La surprise que l’acharnement de ses adversaires, parmi lesquels il y avait aussi des légitimistes, causait au sage Villèle, venait de sa sagesse même. Ce bon ministre, cet administrateur au sens rassis, ne tenait pas compte de la « maladie de 1815 », du démon qui tourmentait les Français, les poussait à travailler contre leur bien le plus évident. D’autres royalistes, qui étaient eux-mêmes des « enfants du siècle », qui trouvaient prosaïque l’œuvre de Louis XVIII, nourrissaient d’ailleurs à ce moment même l’idée que la monarchie pouvait et devait reprendre le programme du patriotisme révolutionnaire, nationalités et conquêtes. C’était la politique que Chateaubriand avait recommandée avec éloquence, irritation et mauvaise humeur, celle que Polignac devait essayer d’entreprendre.

Belle imagination, tête assez faible et chimérique, Polignac eut l’intuition d’une politique capable de rendre à la royauté une popularité rebelle. Il tenta, mais avec des moyens insuffisants, sans l’organisation ni la préparation nécessaires, ce que Napoléon III devait entreprendre plus tard : une politique conservatrice à l’intérieur, masquée par une éclatante satisfaction donnée à l’extérieur aux aspirations libérales. Le grand projet de remaniement de l’Europe, qu’il mit sur pied avec Bois-le-Comte durant les dernières années de la Restauration, était, à la vérité, impraticable, et même franchement mauvais et imprudent en quelques-unes de ses parties (celles où, remaniant la Confédération germanique, il retombait dans les erreurs de la période révolutionnaire et achetait la reprise de la frontière du Rhin par le système si dangereux des « compensations »,