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l’Europe dans un conflit de vingt-trois ans. Mais la Révolution pouvait-elle être pacifique ? Pouvait-elle même se faire si elle conservait la paix ? Mirabeau pressentait l’avenir, comprenait la logique des événements, lorsqu’il adjurait la Constituante d’armer la France « Voyez les peuples libres, disait-il prophétiquement, c’est par des guerres plus ambitieuses, plus barbares qu’ils se sont toujours distingués. Croyez-vous que des mouvements passionnés, si jamais vous délibérez ici de la guerre, ne vous porteront jamais à des guerres désastreuses ? » Ces mouvements devaient se produire le jour où des orateurs feraient appel aux passions de l’opinion publique, le jour où, les institutions nouvelles ayant livré la politique extérieure, comme le reste, aux intrigues et aux desseins des partis, aux visées des ambitieux, au caprice des assemblées et de la foule, la question des rapports avec l’étranger ne serait plus réglée d’après les intérêts de la France, mais d’après des sentiments et des théories d’une simplicité propre à flatter à la fois l’esprit de système et les penchants de la démocratie.

L’année 1792, jusqu’à la déclaration de guerre du 20 avril, fut remplie par la résistance désespérée que la monarchie, fidèle à sa haute fonction de gardienne de l’intérêt national, opposait à la volonté belliqueuse de l’Assemblée et de l’opinion : dernière phase d’un combat pathétique entre l’aveuglement et l’intelligence. Représentée par un roi médiocre, la royauté n’en continuait pas moins d’être, selon l’image de Renan, le cerveau de la nation, tandis qu’il ne pouvait s’accumuler plus d’erreurs, d’illusions et de faux calculs que n’en commettait l’Assemblée, approuvée et excitée par l’enthousiasme des tribunes. Sur les dispositions de la Prusse et de l’Angleterre, sur les ressources de l’Empereur, sur la préparation militaire de la France, Brissot et ses amis erraient lamentablement, se payaient de mots, d’ailleurs couverts d’applaudissements. Étrange renversement des rôles que cent ans d’apologétique révolutionnaire attribuent pourtant aux deux éléments en présence, la démocratie qui naît et la royauté qui succombe ! La raison, l’esprit critique, la méthode expérimentale sont chez les Bourbons et chez quelques aristocrates de la naissance ou de l’esprit (Rivarol, Mallet du Pan) qui les entourent encore et qui, plus ou moins partisans des idées nouvelles, ont gardé la notion de la chose publique.