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qu’auprès du trône, un parti, le parti prussophile, qui blâme, se moque, refuse son adhésion, marchande son concours, qui même peut-être (la bonne intention, la certitude qu’on a la vérité pour soi justifiant tout) ne verra pas de mal à découvrir au bon ami de Berlin les projets du gouvernement. Ainsi le roi se trouve entraîné à son fameux « secret » c’est la conclusion à laquelle arrive l’historien qui en étudie sans parti pris les directions et le mécanisme.

Mais, avouée ou secrète, le politique de la monarchie est désormais frappée de suspicion. Quoiqu’elle tente, elle n’effacera plus l’impression laissée par le « renversement des alliances », et l’année 1756 reste la date critique de notre histoire nationale. La politique étrangère de Louis XVI et de Vergennes est la plus honnête, la plus raisonnable, la plus prévoyante, la plus nationale qui se puisse faire. Il y avait eu, à l’origine, des exagérations dans le sens autrichien : elle les corrige. Elle prend sur mer une éclatante revanche sur l’Angleterre et retrouve une part de nos colonies. En Europe, tous les éléments capables de troubler l’équilibre sont observés de près. À aucun moment la diplomatie française ne s’est élevée à une conception plus haute et plus nette du rôle que les traités de Westphalie avaient donné à notre pays. D’ailleurs, une surveillance plus attentive que jamais est nécessaire. Les problèmes continentaux s’étaient compliqués au milieu du dix-huitième siècle des rivalités coloniales[1]. Sous Louis XVI, c’est par rapport à la question d’Orient qu’il faut en outre résoudre les difficultés : Vergennes a cette grande intuition et pose les bases de la méthode à suivre. Rien n’y fait, le charme est rompu. La France ne comprend pas.

Sans le grand coup de folie de la Révolution, la route de la France était toute tracée : c’est ce qu’un esprit comme celui de Renan a entrevu à de certaines heures, avec le sentiment de l’erreur commise. En Allemagne, surtout, il suffisait de tenir la main au respect de l’équilibre et d’utiliser ce droit de

  1. À ce propos il est bien curieux que, lorsqu’on parle du Canada et de l’Inde perdus par Louis XV, on ne parle jamais de l’Amérique perdue par le régime parlementaire anglais à la suite du concours que Louis XVI a prêté à la révolution américaine. Cela s’appelle pourtant une belle réparation du traité de Paris, et en vingt années juste (1763-1783).