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la solidarité détestable des puissances de cléricalisme et de réaction. Contre Frédéric, champion de la Réforme, et par conséquent du libéralisme et des lumières, le fanatisme s’était ligué. Le XVe tome de l’Histoire de France de Michelet développe ce thème avec rage. Que ce livre est d’une curieuse lecture, aujourd’hui que le point de vue libéral est retourné ! Les Hohenzollern, le militarisme prussien sont exaltés dans Michelet comme les ouvriers de l’âge moderne. Michelet ne vante pas seulement « le grand roi de Prusse », « véritablement grand ». Il célèbre, — que ces mots résonnent ironiquement à l’heure où nous voici ! — les « résultats moraux immenses » de son règne. Frédéric a été le créateur de l’Allemagne, le Siegfried qui a réveillé cette Brunhilde et l’Allemagne idéaliste, vertueuse, dont la renaissance comme nation devait être un des instruments du progrès, une promesse de régénération pour l’humanité, était le fétiche de Michelet. Ce n’est pas l’apologie du seul roi de Prusse, mais du génie germanique dont il est l’incarnation supérieure. « Les Autrichiens eux-mêmes, regrettant de lui faire la guerre, dans le Prussien ressentirent l’Allemand. L’admiration d’un homme rouvrit la source vive de la fraternité. Le culte du héros leur refit la Germania. » Sans doute, Frédéric a été un conquérant, qui a mis la force brutale à son service. Mais « on sent en lui une chose très belle, c’est que, ses faits de guerre, il les a vus d’en haut. » On a voulu noircir la mémoire de Frédéric, exploiter contre lui son cynisme. En vérité « il n’a qu’une tache, sa participation au partage de la Pologne. » Encore les Jésuites en sont-ils, pour Michelet, les vrais inspirateurs.

En face de ce héros de la loyauté germanique, qu’est-ce que Michelet montre en action à la cour de Vienne ? Cela aussi est bien curieux, quand on le relit en 1915, au bruit des malédictions dont la perfidie prussienne est couverte. Pour Michelet, pour l’histoire telle qu’on l’a écrite jusqu’en 1870, ce sont les sycophantes slaves qui se sont ligués avec Tartufe contre le loyal Hohenzollern. Kaunitz, le ministre de Marie-Thérèse, l’auteur de la coalition franco-austro-russe qui faillit anéantir la Prusse, Kaunitz reçoit cette injure, suprême au temps où