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L’AVENIR DE LA CIVILISATION



Si l’on vous demandait quel est le mot abstrait qui a été le plus souvent prononcé depuis la guerre, pour lequel seriez-vous disposé à parier ? Serait-ce le droit ? Serait-ce la justice ? Serait-ce la démocratie ? Ce serait sans doute un de ces trois mots-là, à moins que ce ne fût celui de civilisation. Et, tous ces mots, nous entendons très bien ce qu’ils veulent dire. Seulement, quand il s’agit d’en donner le sens exact, d’en apporter une définition précise, c’est alors que commence l’embarras.

Qu’est-ce que la civilisation ? Nous croyons tous le savoir. Mais ce que tout le monde peut constater, c’est que les meilleurs dictionnaires ne le savent pas. Ouvrez celui de Littré qui est l’incomparable trésor de la langue française. Vous y trouverez que la définition est bien vague. Elle est même inexistante, à la vérité.

Littré dit, en effet : « Civilisation : action de civiliser. » Cela ne nous avance pas beaucoup. Il dit encore : « état de ce qui est civilisé, c’est-à-dire… » Attention, Littré va expliquer : « ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de l’action réciproque des arts industriels, de la religion, des beaux-arts et des sciences. » Très bien. Mais nous tombons là dans une définition particulière du mot. C’est en ce sens que l’on dit la civilisation grecque, romaine, égyptienne, chinoise, etc. On a pu écrire des livres sur les civilisations nègres, qui ne sont pas méprisables, et sur les civilisations préhistoriques. Mais la civilisation par un grand C, la civilisation en soi ? Nous en revenons à la décourageante définition de Littré : « État de ce qui est civilisé. » Et si nous cherchons le sens du verbe civi-