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dans la politique intérieure, un esprit qui, depuis 1914 aussi, semblait avoir disparu. Les jours de l’union sacrée, du zèle devant l’invasion s’éloignaient. Dans le Parlement, les rivalités de personnes avaient repris. Les ministères instables s’étaient succédé. Sous des hommes faibles, irrésolus, le gouvernement vacillait. Une propagande « défaitiste » s’exerçait, et le ministre de l’Intérieur Malvy fut accusé publiquement de la favoriser. C’est contre Léon Daudet, l’accusateur, que le président du conseil Painlevé voulut sévir sous prétexte de complot contre la République. En réalité, les deux tendances qui se heurtaient depuis quarante ans paraissaient de nouveau. Il ne fallait pas seulement, si l’on voulait conduire la guerre jusqu’à la victoire, un pouvoir ferme pour réagir contre le fléchissement qui commençait. Il fallait aussi que ce pouvoir fût exercé par ceux qui ne penchaient pas du côté de l’Allemagne. La situation elle-même appelait au gouvernement, avec Clemenceau, la tradition jacobine du salut public, la tradition radicale, celle qui avait déterminé la guerre à outrance en 1871, puis, l’opposition à la « politique de l’oubli ». En novembre 1917 Clemenceau devenait président du conseil avec ce programme, à l’intérieur comme à l’extérieur : « Je fais la guerre. » Tout de suite, il poursuivait les basses affaires de trahison et il frappait à la tête en inculpant Joseph Caillaux d’intelligences avec l’ennemi et de complot contre la sûreté de l’État. Quant à Malvy, Clemenceau, en plein Sénat, l’avait accusé de compromettre les intérêts dont il avait la charge, et l’ancien ministre de l’Intérieur, pour se disculper, demandait lui-même à passer devant la Haute Cour, qui le condamnait au bannissement. Clemenceau et les hommes de sa génération étaient nourris de l’histoire de la Révolution française. Il y eut là comme un souvenir très adouci de la Terreur.

Il était temps qu’une impulsion fût donnée à la France ; l’élan de 1914 ne pouvait se soutenir tout seul et, si l’Allemagne se lassait également, elle était tout entière dans la main des nouveaux chefs militaires que la guerre avait révélés. N’ayant plus à s’occuper du front russe, Hindenburg et Ludendorff préparaient une dernière et violente offensive en France avant que l’aide nouvelle, l’aide inespérée qui venait à l’Entente, fût efficace. Dans ses furieux efforts pour briser le blocus où les