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belge et aussi parce qu’il était dit que jamais dans l’histoire elle ne tolérerait qu’une grande puissance européenne s’emparât des bouches de l’Escaut. La solution qu’avait trouvée, sous le règne de Louis-Philippe, l’antique problème des Pays-Bas, se montrait pour nous salutaire. Non seulement la Belgique, devenue une nation, était dans cette grande guerre à nos côtés, mais elle y entraînait tout l’Empire britannique, et lorsque l’Angleterre entre dans un conflit européen, l’histoire enseigne qu’elle ne s’en retire qu’après avoir vaincu.

France, Russie, Belgique, Angleterre, cette « Entente », déjà si vaste, semblait plus que capable de tenir tête à l’Allemagne et à l’Autriche et de les battre. L’Italie, fidèle à l’accord qu’elle avait signé en 1902, s’empressait de nous informer qu’elle resterait neutre et, par là, nous délivrait d’un lourd souci sur notre frontière des Alpes. Le seul concours que l’Allemagne allait trouver, ce serait celui de la Turquie et de la Bulgarie, concours non pas négligeable, car il a compliqué et prolongé la lutte, mais insuffisant pour lui donner la victoire quand son coup de surprise aurait été manqué. Ce qu’on ne soupçonnait pas, en 1914, c’était qu’il nous faudrait encore beaucoup d’autres alliés pour venir à bout du grand Empire militaire, tant d’alliés que nous en serions les prisonniers un jour, et que, pour la France, de nouvelles difficultés naîtraient de là.

À la vérité, nous avons échappé à un désastre foudroyant par un hasard tel qu’il a tout de suite paru comme un miracle. L’Allemagne avait cru que la France se décomposerait moralement et politiquement sous le choc et elle avait commis une erreur : son agression avait produit chez nous le phénomène de l’ « union sacrée ». Mais l’union n’était pas moindre chez elle et, le 4 août, dans les deux Parlements à Berlin comme à Paris, les socialistes eux-mêmes avaient tout approuvé. Avec l’assentiment de l’Allemagne entière, une machine de guerre comme le monde en avait peu vu était lancée contre nous.

Les moins confiants des Français furent surpris par la rapidité de l’invasion. Quand on connaissait la force militaire de l’Allemagne, on croyait au moins à plusieurs batailles, d’un sort incertain, près des frontières, loin de Paris. Après le temps nécessaire pour mettre en marche d’énormes armées, les opérations