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attaqué ; Aristide Briand dénonçait le « ploutocrate démagogue ». Pendant cette campagne, Mme  Caillaux tua d’un coup de revolver Gaston Calmette, directeur du Figaro, et ce meurtre rappela celui de Victor Noir quelques mois avant 1870. C’était le crime qui précède et annonce les grands crimes. Celui de Sarajevo, qui servirait de prétexte à la guerre, suivit bientôt. Des signes de sang étaient partout.

Lorsque, le 28 juin 1914, l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie fut assassiné avec sa femme dans la petite ville de Sarajevo par des conspirateurs slaves, la masse du peuple français était bien éloignée de croire à la guerre. Aux élections du mois d’avril, le nouveau bloc des gauches l’avait emporté. Un ministère Ribot, partisan de la loi de trois ans, avait été renversé le jour même où il s’était présenté devant la Chambre, et c’est à un socialiste récemment assagi, René Viviani, que dut s’adresser le président Poincaré pour tâcher de maintenir l’organisation militaire qui venait d’être reconstituée. La démocratie française, indifférente aux événements lointains, vivait dans une telle quiétude que c’est à peine si elle remarqua l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie. Pas plus que du tragique « fait divers » de Sarajevo, la foule n’en tira de conséquences. Au fond, elle croyait la guerre impossible, comme un phénomène d’un autre âge, aboli par le progrès. Elle se figurait volontiers que, si Guillaume II et les officiers prussiens en avaient le désir, le peuple allemand ne les suivrait pas. Dix jours plus tard, la guerre la plus terrible des temps modernes éclatait.