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depuis longtemps. Un député d’extrême gauche, Marcel Sembat, écrivait, à la suite de ces discussions, un pamphlet curieux, dont on n’eût pas imaginé le titre quinze ans plus tôt : Faites un roi, sinon faites la paix. En même temps, le principe essentiel de la démocratie, le suffrage universel, s’altérait étrangement et une campagne persévérante pour la représentation proportionnelle, c’est-à-dire pour le droit des minorités, gagnait des adhérents et allait changer la physionomie de la vie politique, fondée jusque-là sur le système le plus durement majoritaire.

Les deux années qui précédèrent la guerre furent remplies de présages où les observateurs seuls trouvaient des avertissements et qui échappaient à la foule. En 1912, dans une première mêlée balkanique, les Turcs étaient vaincus par la coalition des Bulgares, des Grecs et des Serbes. L’an d’après, les coalisés se battaient pour les dépouilles, et les Bulgares étaient punis de leur agression : Bulgarie, Turquie auraient une revanche à prendre et seraient des alliées pour l’Allemagne. Ces événements étaient suivis avec intérêt par la Russie, ils alarmaient les deux puissances germaniques en menaçant l’Autriche et leur donnaient le désir de mater les Slaves : l’occasion que cherchait l’Allemagne commençait à s’offrir et une atmosphère trouble se répandait en Europe. En janvier 1913, Raymond Poincaré avait été élu président de la République en remplacement d’Armand Fallières et, sous son influence, on redevenait vigilant. Appelé par lui au ministère, un ancien modéré, Louis Barthou, fit accepter par les Chambres le retour au service de trois ans, nécessaire pour renforcer notre armée de première ligne. Publics ou occultes, les symptômes et les renseignements affluaient. Ils montraient l’Allemagne en marche vers la guerre : le gouvernement impérial venait de lever un impôt extraordinaire d’un milliard pour accroître ses effectifs et son matériel. Cependant, en France, la loi de trois ans, impopulaire, ramenait au pouvoir les radicaux-socialistes qui s’efforcèrent de reconstituer le bloc des gauches contre les modérés. À la veille de la guerre, dans l’énervement que répandait une menace qu’on sentait sans la définir, le conflit entre les deux tendances du parti républicain devenait plus âpre. Joseph Caillaux, de nouveau ministre, attaquait et il était