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lorsque l’Allemagne, encouragée par la défaite que le Japon venait d’infliger aux Russes en Mandchourie, allégua que l’accord franco-anglais avait lésé ses intérêts et réclama une conférence internationale sur la question du Maroc. Guillaume II, débarqué à Tanger, y prononça des paroles menaçantes. Le Maroc n’était que le prétexte d’une intimidation et d’une pression sur la France. Delcassé, partisan de la résistance à ces prétentions, fut désavoué par ses collègues et dut se démettre (6 juin 1905). Ainsi, à sept ans de Fachoda, le péril de guerre reparaissait, cette fois du côté de l’Allemagne. Encore neuf ans, et la guerre ne sera plus évitée. Les précautions diplomatiques que nous prenions contre elle étaient pour les Allemands une raison de se plaindre d’être encerclés et de s’armer davantage. À la conférence d’Algésiras, qui nous donna raison dans l’affaire marocaine, presque toutes les puissances s’étaient liguées contre eux, ils étaient restés isolés avec l’Autriche : désormais l’Allemagne refusera toutes les conférences, et, le grand jour venu, rendra le conflit certain. Toutefois, pour humiliants qu’ils eussent été, le recul de 1905 et le sacrifice de Delcassé n’avaient pas été inutiles. À ce moment la Russie, notre alliée, était impuissante. La France était affaiblie par de longues discordes. L’armée n’était pas prête. Le moral n’était pas bon. Le temps gagné nous a peut-être sauvés d’un désastre.

Désormais, jusqu’au jour de la mobilisation, c’est sous la menace de l’Allemagne que la France vivra. Le système de la paix armée, c’est-à-dire de la course aux armements, sans cesse aggravé depuis le jour où s’était fondée l’unité allemande, menait l’Europe à une catastrophe. L’Allemagne, avec une population et une industrie excessives, était poussée à la conquête de débouchés et de territoires dont le désir agissait autant sur les masses socialistes que sur les états-majors. Pour éviter la guerre, il ne suffisait plus que la France acceptât comme un fait accompli la perte de l’Alsace-Lorraine, et bornât son effort militaire à la défensive, comme l’indiquait la réduction du temps de service à deux années. L’illusion de la démocratie française fut qu’elle conserverait la paix parce qu’elle-même était pacifique. Néanmoins, il devenait impossible de méconnaître l’étendue du danger. Dans les partis de gauche,