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elle nous avait rapprochés de l’Allemagne. Entre Saint-Pétersbourg et Berlin, les relations étaient bonnes. Guillaume II, qui régnait depuis 1888, avait de l’influence sur le jeune empereur Nicolas II qui avait succédé à son père Alexandre III en 1894. L’année d’après son avènement, la France, d’accord avec la Russie, avait accepté d’envoyer des navires de guerre à l’inauguration du canal de Kiel, qui permettait à la flotte allemande de passer librement de la Baltique dans la mer du Nord et qu’avaient payé nos milliards de 1871. Derrière l’alliance franco-russe, s’ébauchait une combinaison à trois dont le gouvernement britannique devait prendre ombrage, parce qu’elle était conçue en vue de l’expansion coloniale des grandes puissances du continent. Guillaume II donnait une flotte à l’Allemagne et il allait prononcer son mot retentissant : « Notre avenir est sur mer. » La Russie s’étendait en Extrême-Orient, où elle ne tarderait pas à se heurter au Japon dans un conflit désastreux. Quant à la France, c’était en Afrique surtout qu’elle développait son domaine. En 1882, sous l’influence de Clemenceau et du parti radical, le gouvernement français s’était désintéressé de l’Égypte que l’Angleterre avait occupée à titre provisoire, d’où elle ne partait plus et d’où elle se disposait à dominer toute l’Afrique orientale, du Cap au Caire. En novembre 1898, la mission Marchand, partie du Congo pour atteindre le haut Nil, s’était établie à Fachoda : avec ce gage entre les mains, le gouvernement français croyait être en état de poser de nouveau la question d’Égypte lorsque l’Angleterre le somma, sous menace de guerre, d’évacuer la place sans délai. Ainsi la politique coloniale nous menaçait d’un autre péril. Entre l’Angleterre et l’Allemagne, il fallait choisir.

Le ministre des Affaires étrangères de Waldeck-Rousseau, Théophile Delcassé, était d’origine radicale. Il gardait l’ancienne tradition du parti, opposé aux aventures lointaines et au rapprochement avec les vainqueurs de 1870. Il liquida l’affaire de Fachoda, et la France fut réconciliée avec le gouvernement britannique. Cette réconciliation nous associait aux intérêts de l’Angleterre et, si elle nous donnait une garantie contre l’Allemagne, nous ramenait au danger d’une guerre continentale. Telle était la situation au lendemain des agitations de l’affaire Dreyfus, quand le gouvernement de défense républicaine,