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Patriotes eurent, le jour des obsèques, tenté un coup d’État qui échoua. La situation du boulangisme se reproduisait. Comme au temps du général Boulanger, comme au Seize Mai, la défense républicaine par l’union des gauches se reforma aussi.

Seulement l’union des gauches, baptisée par Clemenceau le Bloc, devait, cette fois, aller très loin à gauche. Les socialistes étaient devenus la pointe extrême du parti républicain. On ne pouvait défendre la République sans eux, et il fallait leur donner place au pouvoir. Quand Waldeck-Rousseau organisa son ministère de défense républicaine, en juin 1899, il y introduisit Alexandre Millerand, député de l’extrême gauche, défenseur des théories collectivistes, et ce choix causa du scandale et de l’inquiétude dans la bourgeoisie française. On devait pourtant revoir avec quelques-uns des chefs socialistes ce qu’on avait déjà vu avec quelques-uns des chefs radicaux : leur assagissement, leur assimilation progressive par le milieu conservateur. Ce n’étaient donc pas les concessions à leurs personnes qui étaient les plus graves, mais les concessions à leurs idées. Il ne s’agissait plus seulement de laïcité, programme commun des républicains de doctrine. Avec l’affaire Dreyfus, l’antimilitarisme était apparu et il en avait été un des éléments les plus actifs. Peu à peu, les charges militaires avaient été rendues presque égales pour tous, le jeune intellectuel passait à la caserne comme le jeune paysan, et le dégoût de cette servitude avait favorisé les campagnes d’idées et de presse contre l’armée et ses chefs. Victorieux par le ministère Waldeck-Rousseau, par la Haute Cour qui jugea les nationalistes et les royalistes, tandis que le procès de Dreyfus était révisé, le parti républicain, qui avait été en 1871 celui du patriotisme ardent et même exalté, inclinait tout au moins à négliger la défense nationale, sous l’influence de son extrême gauche internationaliste.

Ces événements, qui rendaient la prépondérance aux partis avancés, s’étaient pourtant accompagnés d’une autre crise, à l’extérieur celle-là, dont les suites allaient nous ramener face à face avec l’Allemagne. Les modérés, qui avaient gouverné presque sans interruption depuis le rapprochement franco-russe, s’étaient livrés à leur tour à la politique coloniale, et notre alliance avec la Russie avait produit une conséquence imprévue :