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tombé et sa chute avait causé à Berlin du mécontentement et de l’inquiétude. Bismarck le savait devenu pacifique autant qu’il avait été belliqueux dans sa jeunesse et son âge mûr. En effet, Thiers qui, en 1866, avait annoncé les dangers de l’unité allemande voyait maintenant la France battue, affaiblie, isolée, et il pensait que le mieux était de s’entendre avec le puissant vainqueur. Il s’était empressé de reconstituer une force militaire, parce qu’il savait que la France ne peut se passer d’une armée, mais rien n’était plus éloigné de son esprit que l’idée de revanche. Cela, Bismarck ne l’ignorait pas. À ses yeux, Thiers était le garant de la paix qu’il avait signée. Lorsque Thiers eut été renversé du pouvoir, le chancelier de l’Empire allemand montra qu’il craignait tout à la fois le gouvernement des conservateurs, capable de nouer en Europe des alliances monarchiques et catholiques, et le gouvernement des républicains ardents, ceux qui, avec Gambetta, avaient voulu la guerre à outrance et voté contre le traité de Francfort. De plus, à aucun moment, Bismarck n’avait cessé de se méfier de la France et de l’Europe. Il était apparu tout de suite que le nouvel Empire allemand, fondé par la force, ne compterait que sur la force pour se maintenir. Il allait imposer à tous ses voisins le principe de la nation armée et de la paix armée, qui était gros d’une autre guerre, plus terrible que toutes celles que le monde avait connues. La grande Allemagne fondée par les erreurs et la défaite de la France, par la bienveillante neutralité de l’Europe, préparait le sombre avenir que les hommes clairvoyants du dix-neuvième siècle avaient prédit.

Pour toucher plus vite le solde des cinq milliards, Bismarck avait accepté la convention du 15 mars 1873. À peine eut-il évacué la dernière ville française qu’il le regretta. Sous la présidence de Thiers, il avait déjà menacé plusieurs fois de garder Belfort. Une fois payé, il trouva que la France se relevait trop vite et qu’il serait peut-être bon de « lui casser les reins ». Cependant la politique extérieure de la France, après Thiers comme avec lui, restait prudente. Le duc Decazes, ministre des Affaires étrangères du cabinet de Broglie, travaillait à éviter les conflits. Quoique la majorité de l’Assemblée nationale fût catholique, le gouvernement refusait d’intervenir en Italie pour le pouvoir temporel du Pape. Rien pourtant n’empêcha Bismarck