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de l’ordre. La troupe s’était battue avec discipline, les sections bourgeoises de la garde nationale avec fureur ; de province même, des renforts leur étaient venus. Au lieu d’être honorée, l’insurrection fut flétrie. Les insurgés ne furent plus des héros, mais des « barbares ». L’assassinat du général Bréa, la mort de l’archevêque de Paris, Mgr Affre, tué au moment où il intervenait entre les combattants, se racontèrent avec horreur. Partout l’impression fut profonde. Du moment que la Révolution attaquait l’ordre social et la propriété, Paris même cessait d’être révolutionnaire. Des journées de Juin, le socialisme sortit affaibli et découragé, tandis que la réaction grandissait, des villes aux campagnes, avec la haine des « partageux ».

Dès lors, les événements marchèrent très vite. La Constitution qui fut adoptée par l’Assemblée disait que la République aurait un président et que ce président serait élu par le peuple. Rares furent les républicains comme Grévy qui représentèrent que le plébiscite pouvait être mortel pour la République. La gauche même l’accepta ; la doctrine républicaine enseignait alors que le régime parlementaire était d’essence conservatrice et monarchique, et que le pouvoir exécutif, pour ne pas dépendre d’une Assemblée toujours capable de restaurer la monarchie, devait s’appuyer sur le suffrage universel : ce qui prouve que les théories politiques sont changeantes comme les circonstances qui les déterminent.

Le plébiscite eut lieu le 10 décembre. Avec Lamartine et le général Cavaignac, Louis-Napoléon avait posé sa candidature. Il était rentré en France depuis peu de temps, sa présence à l’Assemblée avait été peu remarquée, mais son attitude avait été habile. Il avait nié qu’il fût prétendant au trône impérial. Au lieu de parler, comme dans ses premiers manifestes, comme presque tout le monde quelques mois plus tôt, de réformes sociales, il était devenu conservateur avec un vocabulaire démocratique, le mélange même dont les idées et les traditions napoléoniennes se composaient. À la surprise générale, il fut élu à une majorité considérable, avec cinq millions et demi de voix. Plus significatif, plus glorieux que ceux de Cavaignac et de Lamartine, le nom de Napoléon l’avait emporté.

Ce fut une situation bien extraordinaire que celle de ce Prince Président