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garnison de Strasbourg, sa tentative ne fut même pas prise au sérieux. On se contenta d’expédier le prétendant en Amérique et le jury acquitta ses complices. L’idée napoléonienne semblait morte, et son représentant un aventurier ridicule. Quiconque eût alors annoncé une restauration de l’Empire eût passé pour fou.

C’était l’heure où les chefs parlementaires, du centre droit jusqu’à la gauche, le duc de Broglie, Guizot, Thiers, Odilon Barrot, soutenus par les légitimistes et les républicains, menaient la lutte contre Molé, le « favori », l’homme du « château ». Ce fut la coalition, « l’immorale et funeste coalition », regrettée trop tard de ceux qui l’avaient menée, comme certains des libéraux qui avaient préparé la Révolution de 1830 regrettèrent par la suite leur étourderie. À dix ans de distance, les mêmes hommes, ou peu s’en faut, affaiblissaient le régime qu’ils avaient fondé, comme ils avaient miné la Restauration, et par les mêmes moyens. Le thème n’avait pas changé : la monarchie était accusée d’humilier la France devant l’Europe, d’« altérer la politique nationale ». Les contemporains eux-mêmes furent frappés de la similitude. Lorsque Molé, en 1839, eut été battu aux élections et, au lieu d’obtenir une majorité, perdit trente sièges, tout le monde évoqua le cas de Martignac. On crut à un nouveau 1830, et les révolutionnaires, conduits par Barbès, tentèrent de soulever Paris. Les barricades ne durèrent pas plus d’un jour, mais il était évident que l’agitation parlementaire avait réveillé le parti de la Révolution. Cette alerte ne servit pas de leçon à la Chambre qui combattit le maréchal Soult, choisi par le roi, comme elle avait combattu Molé, qui, chose admirable, se réconcilia avec Thiers et se joignit à l’opposition. Ce furent quelques mois de guerre ouverte non seulement contre le Cabinet, mais contre la couronne à qui l’on reprochait l’effacement, c’est-à-dire la prudence, de sa politique européenne, à qui l’on marchandait jusqu’à l’argent de la liste civile. Ainsi la monarchie de Juillet était discréditée, ébranlée par ceux qui l’avaient faite, par ces élus censitaires qui sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis.

Louis-Philippe était poussé dans ses retranchements, comme l’avait été Charles X. Plus prudent, il céda, et, en 1840, rappela Thiers qui avait conduit cette campagne. Une nouvelle expérience