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« barrière » à nos ambitions. Louis-Philippe l’accepta, la signa, la respecta. Et, quatre-vingts ans plus tard, c’est la Prusse, signataire et garante aussi, qui l’a violée. Alors la précaution prise contre la France s’est retournée contre l’Allemagne, a déterminé l’Angleterre hésitante à intervenir et, en fin de compte, nous a profité. Il a fallu près d’un siècle pour que le service rendu par Louis-Philippe fût compris et apprécié. En 1831, sa renonciation à la Belgique passa pour une trahison, un lâche abandon des traditions révolutionnaires et napoléoniennes. En acceptant Léopold Ier, un Cobourg, candidat de l’Angleterre, pour roi des Belges, le roi des Français se réservait pourtant de lui donner sa fille, la princesse Louise, en mariage. En 1832, il sauvait encore la Belgique, menacée par un retour offensif des Hollandais, et une armée française délivrait Anvers : toutes sortes de liens d’amitié se nouaient avec la jeune nation. Cependant l’Angleterre avait été distraite de notre occupation d’Alger par les soucis que lui avaient donnés les bouches de l’Escaut, et nous pouvions prendre pied sur l’autre rive méditerranéenne, organiser la conquête entreprise par Charles X sans qu’il en eût recueilli la moindre gratitude. Quelle faible et dérisoire compensation l’Algérie semblait alors aux conquêtes perdues de la République et de l’Empire !

Louis-Philippe avait accepté le trône — ses adversaires de droite et de gauche disaient qu’il l’avait usurpé — pour épargner à la France l’anarchie et la guerre, préserver la dignité de la nation et son avenir. Il continuait la Restauration avec le drapeau tricolore. Huit mois après les journées de Juillet, Laffitte et le parti du mouvement étaient usés, cédaient la place à Casimir Perier et au parti de la résistance. La nouvelle monarchie avait maintenu la paix à l’extérieur. Au dedans, elle revenait à l’ordre. Ce ne fut pas sans peine ni sans de violentes secousses. L’émeute, frustrée de sa victoire sur Charles X, se réveilla plusieurs fois. La rupture avec les formes et les signes de l’ancienne monarchie, attestée par le nom de Louis-Philippe Ier qu’avait pris le souverain au lieu de celui de Philippe VII que les doctrinaires lui conseillaient, bien d’autres détails destinés à donner l’impression que cette monarchie des Bourbons de la branche cadette ne ressemblait