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affranchis des préoccupations vulgaires de la vie, inaccessibles aux considérations mesquines comme aux influences que subissent les ignorants et les besogneux. On ne vote selon des principes que si l’on est indépendant. Et d’où vient l’indépendance, sinon de la fortune ? En vertu de cet axiome, on en arrivait à considérer que ceux qui étaient soldats, faute d’argent pour acheter un remplaçant, ne devaient pas décider par leur vote de la paix et de la guerre, leur jugement n’étant pas libre.

Cependant Louis-Philippe allait pratiquer, à l’extérieur, la même politique de paix que la Restauration. Comme elle, il sera accusé d’humilier la France, d’être l’esclave des traités de 1815. La Révolution de 1830 avait relevé les trois couleurs qui signifiaient les frontières naturelles, l’affranchissement des peuples, la revanche, la gloire : d’où le nom de « trois glorieuses », donné aux journées de Juillet. Edgar Quinet dira plus tard : « La Révolution a rendu son épée en 1815 ; on a cru qu’elle allait la reprendre en 1830. » Là encore, un sentiment fut froissé, un espoir déçu. Les hommes qui avaient fait cette Révolution voulaient l’action, le « mouvement » au dedans et au dehors. Louis-Philippe, qui connaissait l’Europe, se rendit compte du danger, qui était, par une politique extérieure téméraire, de réunir les Alliés et de remettre en vigueur le pacte de Chaumont. Il prit le parti de la modération, de l’ordre, de la prudence, qu’on appela la « résistance » par opposition au « mouvement ». Sortie d’une poussée révolutionnaire, c’est-à-dire (car les deux choses se confondaient) belliqueuse, la monarchie de Juillet sera conservatrice et pacifique. Elle donnerait satisfaction au besoin de tranquillité, aux intérêts matériels qui dominent le plus grand nombre. Mais elle mécontenterait les esprits ardents qui vivaient sur les souvenirs de la République et de l’Empire, et elle ne pourrait pas compter, pour défendre cette politique, sur les masses, surtout rurales, à qui cette politique devait plaire, car, de la guerre, c’étaient elles qui payaient les frais encore plus alors que de nos jours.

Ainsi, en s’obstinant à repousser le suffrage universel, la monarchie de Juillet se privait d’une base large et solide, celle qui avait déjà manqué à la Restauration. Elle se privait du