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devint encore un grief des libéraux contre Villèle. L’idée, très politique, recommandée par tous les hommes réfléchis, d’indemniser les Français dont les biens avaient été confisqués pour crime d’émigration, fut combattue avec passion sous le nom de « milliard des émigrés », bien que ce milliard se soit réduit à 625 millions. Il s’agissait de fermer une dispute irritante, de rassurer définitivement les acquéreurs de biens nationaux, toujours inquiets d’une revendication des anciens propriétaires. Cette mesure de paix sociale, jugée insuffisante par l’extrême droite, fut dénoncée par la gauche comme une provocation. Chose plus incroyable : la conversion des rentes, rendue possible parce que les fonds publics, grâce à l’ordre des finances et à la prospérité, avait atteint le pair, déchaîna contre Villèle les fureurs de la bourgeoisie, bien que l’opération, si souvent réalisée depuis, fût parfaitement régulière et conforme aux intérêts de l’État et de la nation. On retrouvait là quelque chose de l’aveugle passion des rentiers de 1789.

Et ce n’est pas encore pour ces raisons que Villèle fut le plus attaqué. Sa modération, sa prudence, il les portait dans la politique étrangère. Il restait fidèle à la méthode qui, après 1814 et 1815, avait permis à la France de reprendre son rang et de retrouver sa sécurité. Si les traités de Vienne étaient cruels pour nous, nos propres pertes avaient pour contrepartie que des agrandissements avaient été refusés à d’autres puissances. Bouleverser l’Europe, accroître la Prusse et la Russie pour retrouver les frontières naturelles, cette politique de compensation renouvelée de 1795 lui paraissait mauvaise. Il résistait adroitement, quand le tsar nous poussait, au nom des principes de la Sainte-Alliance, à intervenir bien loin, dans les colonies espagnoles de l’Amérique du Sud, pour les remettre sous l’autorité de l’Espagne, et quand Nicolas Ier demandait notre appui pour démembrer l’Empire turc. Les Grecs s’étaient révoltés contre la domination ottomane et nous avons peine à comprendre aujourd’hui l’enthousiasme philhellène de la France d’alors. Villèle avait envoyé une escadre pour surveiller et contenir la Russie, empêcher l’ouverture de la question d’Orient. La bataille de Navarin (1827), où la flotte turque fut détruite, s’engagea contre son gré, contre ses instructions. Cette journée détermina la chute de