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magne, qui est en même temps la Charte de l’Europe, est déclarée par lui inviolable. Quiconque y touche aura affaire à sa justice. Partagée d’abord avec la Suède (qui a joué au dix-septième siècle le rôle dévolu de nos jours à la Russie), la garantie des traités de Westphalie ne tarda pas à appartenir à la France seule. Sur ce point, la monarchie n’eut pas une heure de relâchement. Ayant réussi à diviser et à désarmer l’Allemagne, elle n’entendait pas laisser renaître l’ancien état de choses, ni que le résultat des efforts accomplis par la nation française fût remis en question. En 1788, à la veille de la Révolution, en présence des envahissements de la Prusse en Allemagne, le gouvernement de Louis XVI se réclamait encore des droits et des devoirs de la France, garante de la liberté germanique.

Le chef-d’œuvre de la paix de Westphalie, ce fut peut-être que les Allemands s’en montrèrent les premiers satisfaits, tant elle répondait à leurs goûts et à leur nature. En vain l’Empereur Ferdinand III, par la plume de ses écrivains, qui jouaient alors le rôle des journalistes officieux de nos jours, avertissait-il ses peuples que le roi de France, sous prétexte de travailler pour leurs droits, avait travaillé pour lui-même, que le Bourbon se proposait de prendre en tutelle les Allemagnes divisées et réduites à l’impuissance. Est-ce que l’Empereur se mêlait des affaires de France, encourageait les Frondes ou protégeait les Parlements ? Et il montrait que, sous prétexte de liberté germanique, les rois de France arrachaient l’un après l’autre des pans du Saint-Empire, les évêchés hier, l’Alsace aujourd’hui, la Lorraine ou autre chose demain. Les Allemands furent insensibles à ce langage. Ils se plurent dans leur anarchie. Bien mieux, ils en tirèrent vanité. Cette Constitution que l’étranger leur avait donnée, que la politique française avait mûrie, ils lui découvrirent un caractère « national ». Leurs juristes en firent de longs commentaires et ils ne manquèrent pas d’en trouver les origines dans le droit des vieux Germains. Ils s’épuisaient en doctes définitions, au bout desquelles il leur arrivait, comme à Pufendorf au dix-septième siècle, de conclure ainsi « Il ne reste plus autre chose à dire, si ce n’est que l’Allemagne est un corps irrégulier, et qui a l’air d’un monstre (monstro simile) au regard de la science politique. D’un