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pour la France. Talleyrand, qui la représentait au Congrès, se trouva dans la situation la plus cruelle. Prévoyant ce qui allait survenir, il prit le parti de se joindre aux Alliés afin de conserver au moins les conditions du traité de Paris pour que le futur traité ne fût pas pire. Mais il serait facile de travestir cet acte de prudence et de soutenir que la monarchie s’était associée aux ennemis de la nation française. Et quand les hommes qui s’étaient compromis dans les Cent-Jours chercheront une excuse, c’est de cet argument perfide qu’ils se serviront.

À aucun moment Napoléon n’avait cru ni que les Alliés le laisseraient régner ni qu’il pourrait régner sur une France revenue à ses anciennes limites. Il était toujours esclave de la loi qui l’avait poussé sans relâche à la guerre. Mis au ban de l’Europe, il se prépara tout de suite à combattre. On le suivit, mais beaucoup de Français étaient agités de pressentiments sinistres et l’enthousiasme des premières journées du retour était tombé. Au plébiscite qui eut lieu, comme autrefois, pour approuver l’Acte additionnel, le nombre des abstentions fut considérable. L’assemblée du Champ de mai, renouvelée de la fête de la Fédération, fut morne. Le ressort de la nation était fatigué, les esprits troublés, les lieutenants de Napoléon inquiets. Soucieux de prévenir une nouvelle invasion, l’empereur partit le 12 juin pour la Belgique, dans le dessein de séparer Wellington et Blücher, qui avaient cent mille hommes de plus que lui, et de les battre l’un après l’autre. Malgré un succès à Ligny, il ne put empêcher les Anglais et les Prussiens de se joindre. Ce qu’on appelle l’adversité, et qui n’est que l’effet d’un ensemble de causes, s’en mêla. Grouchy, auquel l’empereur avait confié une armée pour le récompenser de services politiques, se trompa en croyant bien faire, resta inutile pendant que la grande bataille s’engageait le 18 juin à Waterloo, nom retentissant d’un désastre qui n’avait eu d’égal que celui de Trafalgar. Revenu à Paris dès le 20, Napoléon n’avait plus qu’à abdiquer pour la seconde fois. Il s’y résolut après un vote de la Chambre qu’il avait fait élire et qui se hâta de l’abandonner.

Tous ces événements ont une couleur romanesque, un caractère passionnel. Ils échappent à la raison. Une folie de trois mois ramenait chez nous l’étranger, remettait en question