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le 1er mars 1815, Napoléon, le 20, était aux Tuileries, tandis que Louis XVIII se retirait à Gand.

Cent jours : l’aventure ne dura pas davantage et ce fut assez pour causer des dégâts incalculables. À l’intérieur d’abord, en rendant plus difficile la réconciliation des Français. Napoléon ne savait pas seulement le métier de la guerre. Il savait celui de la politique qu’il avait appris, exercé pendant la Révolution. C’est de la Révolution surtout qu’il réveilla le souvenir, parlant gloire aux soldats, paix et liberté au peuple. L’empereur autoritaire était revenu en démagogue. Deux choses pouvaient lui nuire : la crainte que les Alliés ne reprissent les armes : il assura que son beau-père l’empereur d’Autriche les en empêcherait ; la crainte du despotisme impérial : il disait aux paysans : « Vous êtes menacés du retour des dîmes, des privilèges, des droits féodaux. Je viens vous arracher à la glèbe et au servage. » Restaurateur du culte, fondateur d’une nouvelle noblesse, il excitait maintenant la foule contre les nobles et les prêtres. Aux libéraux, il promettait une Chambre des représentants, la liberté de la presse, ce que Louis XVIII avait déjà donné, mais avec l’esprit de la Révolution en plus. « Si c’était un crime de rappeler Bonaparte, a écrit Mme de Staël, qui ne lui pardonnait pas, c’était une niaiserie de vouloir masquer un tel homme en roi constitutionnel. » Cependant, la plupart des libéraux voulurent être dupes. Benjamin Constant, quelques jours après qu’il avait appelé Napoléon l’ « usurpateur », rédigea l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, bien qu’il eût, dès ses premiers entretiens avec l’empereur, « reconnu son mépris pour les discussions et les formes délibérantes », disposition qui « paraissait, pour se développer, n’attendre que la victoire ». La défaite vint avant. Mais la figure d’un Napoléon libéral, confondu avec la cause de la Révolution, resta. De là date cette alliance des bonapartistes et des libéraux qui allait agiter la Restauration et la monarchie de Louis-Philippe pour préparer le règne de Napoléon III.

À l’extérieur, les conséquences du retour de l’île d’Elbe ne furent pas moins graves. Les Alliés en furent informés à Vienne le 13  mars. Aussitôt ils mirent l’empereur « hors la loi des nations ». Le pacte de Chaumont fut renouvelé. La reprise de la guerre était certaine, de nouveaux malheurs probables