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l’île Maurice, Tabago et Sainte-Lucie dans les Antilles, quand elle nous interdisait de rentrer à Saint-Domingue, quand elle gardait le Cap enlevé à la Hollande, quand elle s’emparait de Malte, des Îles Ioniennes, elle continuait le plan de domination maritime qu’elle avait poursuivi pendant tout le dix-huitième siècle. De même, la Prusse, l’Autriche, la Russie, par leurs partages de la Pologne, leurs agrandissements en Allemagne ou en Orient, donnaient tout son sens à une guerre dont ces conquêtes étaient le but véritable.

Elles avaient été rendues possibles par le bouleversement de l’Europe que la Révolution avait provoqué, qu’avait achevé l’Empire, et par lequel la France avait perdu les avantages qu’elle possédait depuis le traité de Westphalie. À quelle dangereuse instabilité était vouée cette Europe nouvelle, on le vit dès le Congrès de Vienne, où tous les États européens, la France comprise, furent appelés pour construire un système d’équilibre destiné à remplacer celui que nous avions nous-même anéanti. À peine le Congrès était-il réuni que déjà on parlait de guerre. Les Alliés se disputaient les dépouilles de l’Empire napoléonien. À la Prusse et à la Russie, unies par leurs convoitises, s’opposaient l’Autriche et l’Angleterre, du côté desquelles la France se rangea. Au milieu de ces rivalités, les instructions de Louis XVIII, habilement servies par Talleyrand, rétablirent tout de suite notre situation européenne. La France, à qui on avait tout refusé, prenait le rôle du pays désintéressé, défenseur du droit public et des souverainetés légitimes, adversaire des conquêtes et des partages cyniques. Les Alliés avaient feint de la combattre au nom d’un principe. Elle s’armait maintenant de ce principe pour empêcher les dangereux accroissements des autres pays, les vastes agglomérations que Napoléon n’avait que trop favorisées. Elle s’en armait pour mettre l’Allemagne à l’abri de la Prusse, l’Italie à l’abri de l’Autriche, la Turquie enfin, où nous avions à maintenir nos anciens privilèges, à l’abri de la Russie. Cette politique, conforme à nos meilleures traditions diplomatiques, renouait avec celle de Vergennes. C’était celle de notre sécurité. Elle nous mettait à la tête du parti de la modération, nous rendait le rôle de protecteurs des États moyens et petits. C’est dans cet esprit que Talleyrand défendit le roi de Saxe qui était