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sonnier à Fontainebleau. Par le blocus continental, le restaurateur du catholicisme en France avait été conduit à s’aliéner les catholiques du monde entier. Et pourtant, excommunié, ayant, à Naples et à Madrid, détrôné des Bourbons, il avait épousé une fille des Habsbourg. Son extraordinaire fortune bravait tout.

Ce mariage autrichien, défi à la Révolution française elle-même, Napoléon ne s’y était décidé qu’après un mariage manqué avec une sœur d’Alexandre. L’empereur de Russie se dérobait à l’alliance et déjà Napoléon n’y croyait plus. Il jugeait même la guerre inévitable. Se mettant à la place du tsar, il pensait que l’Empire russe n’accepterait jamais l’extension de l’Empire français, qui, par les nécessités du blocus continental, avait fini par annexer les villes de la Hanse, Brême et Hambourg, devenus chefs-lieux de deux de nos 130 départements. La France allait jusqu’à la mer Baltique et plus elle se rapprochait de la Russie, plus un grand conflit était à craindre, parce que les difficultés naissaient à chaque instant de l’Oldenbourg, de la Pologne, de l’Orient, enfin de la répugnance des Russes à cesser le commerce avec les Anglais. Encore alliés, les deux empereurs armaient l’un contre l’autre, ces armements mêmes devenaient un grief et Napoléon, désormais convaincu que cette nouvelle guerre était fatale et qu’il n’arriverait à ses fins qu’après avoir abattu la Russie comme il avait abattu la Prusse et l’Autriche, prépara pour l’année 1812 l’armée la plus vaste qu’on eût jamais vue, l’armée de « vingt nations » où entraient des hommes de tous les pays alliés ou soumis à la France, une sorte de croisade de l’Occident contre la Russie asiatique. À cette croisade, par la pente naturelle de son esprit autant que par politique, Napoléon donnait encore le mot d’ordre de la Révolution, la libération des peuples, dont la résurrection de la Pologne serait le gage, sans prendre garde que déjà les Espagnols luttaient pour leur indépendance et que l’esprit de nationalité, ranimé par les principes révolutionnaires, agitait les masses germaniques. Alexandre, habile à jouer tous les rôles, parlait de son côté un langage libéral, invoquait la justice, intéressait à sa cause les pays conquis et subjugués par la France ou insurgés contre elle, préparait sa réconciliation avec la Prusse et l’Autriche par la complicité des trois États dans le