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surés sans que rien fût jamais résolu. Après Ulm, il avait fallu Austerlitz, après Austerlitz, Iéna. Après Iéna, il fallut s’enfoncer plus loin à l’Est, passer la Vistule, aller chercher les Russes qui, cette fois, n’offraient pas la bataille. À Eylau, à trois cents lieues de France, sous la neige, une journée sanglante et disputée (8 février 1807) n’apporte pas encore la paix. Napoléon, qu’une inquiétude commence à saisir, offre alors un marché, une alliance à la Prusse et à l’Autriche qui se dérobent, refusent de remplir le rôle de couverture contre la Russie, et commencent, au fond, comme beaucoup d’Européens, beaucoup de Français même, à douter que son entreprise ait une issue. Ne pouvant employer la Prusse et l’Autriche à isoler la Russie, il faut donc que Napoléon oblige le tsar à se reconnaître vaincu. Un nouvel effort militaire, la levée des conscrits de 1808, est demandé à la France « pour avoir la paix ». À Friedland (juin 1807), la Grande Armée est encore victorieuse. Kœnigsberg et le reste de la Prusse tombent entre ses mains.

Alors Napoléon put croire qu’il touchait au but, qu’il dominait l’Europe, et que, dominant l’Europe, il tiendrait l’Angleterre à sa merci. Le tsar, mobile, impressionnable, dissimulé aussi, « un Grec du Bas-Empire », revint à l’idée qu’il avait abandonnée l’année d’avant. Pourquoi l’empereur de Russie ne s’entendrait-il pas avec l’empereur des Français pour une politique de partage, selon le modèle du dix-huitième siècle, mais un partage plus grandiose que celui de la Pologne puisqu’il s’agirait de l’Empire ottoman ? Napoléon conçut alors l’espoir qu’allié des Russes contre l’Angleterre, lui fermant toute la Méditerranée, la menaçant jusque dans l’Inde, il la forcerait à s’incliner. En 1807, l’entrevue de Tilsitt, le pacte d’amitié conclu entre l’empereur d’Occident et l’empereur d’Orient, parut le prix des victoires coûteuses qui avaient conduit les soldats français jusqu’au Niémen.

La première déception fut que cette alliance franco-russe, au lieu de décourager l’Angleterre, la détermina à soutenir avec toute son énergie une lutte dont l’issue serait pour elle la vie ou la mort. Le gouvernement britannique déclara la guerre à la Russie et, pour l’enfermer dans la mer Baltique, s’en emparer lui-même, terroriser en même temps les neutres, il