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obtenir la paix maritime. Il n’avait donc pas, à ce moment, l’idée funeste que l’Angleterre s’avouerait vaincue lorsque les puissances continentales le seraient. Cette idée, qui nous avait coûté si cher sous Louis XV, Napoléon devait pourtant y revenir, contraint et forcé par la catastrophe dont la crainte avait paralysé ses amiraux : ses victoires magnifiques allaient être anéanties par un désastre naval.

Le lendemain de la capitulation des Autrichiens à Ulm, Villeneuve tentait de sortir de Cadix où Nelson le tenait bloqué. La flotte anglaise, bien qu’elle fût inférieure en nombre, détruisit la flotte franco-espagnole, après un terrible combat, en vue du cap Trafalgar (20 octobre 1805). Ce jour là, sans qu’on le vît, la partie était perdue pour Napoléon. Nelson avait annulé la capitulation d’Ulm et toutes les autres victoires de l’Empire ne serviraient plus de rien. Après cette catastrophe, le projet d’une descente en Angleterre n’était plus réalisable. Napoléon l’effaça de son esprit, n’y pensa même plus. La défaite de Trafalgar eut le même effet que celle de La Hougue ; la France se désintéressa de la mer, l’abandonna aux Anglais. Tout promettait à Napoléon un triomphe sur les puissances continentales, et il alla le chercher, comptant, après sa victoire, trouver l’Angleterre conciliante. Comme il l’avait dit, il avait battu les Autrichiens avant leur jonction avec les Russes. Les Russes étant venus offrir la bataille, il remporta encore sur eux et sur une autre armée autrichienne, la plus éblouissante de ses victoires, celle d’Austerlitz (2 décembre). En quelques semaines, la troisième coalition avait été écrasée. À la tête de la Grande Armée, Napoléon, maître de Vienne, pouvait imposer sa loi à l’Europe. Dirigées par une seule main, celle d’un génial capitaine qui était en même temps dictateur, les forces de la France semblaient invincibles.

Il fallait seulement choisir le parti qu’on tirerait de ce triomphe militaire. Talleyrand conseillait une réconciliation avec l’Autriche. C’était un retour à l’idée de Louis XIV, de Choiseul, de Vergennes : l’Autriche pouvait servir de contrepoids. Étendue vers l’Orient, le long du Danube, elle serait un élément de conservation et d’équilibre, contiendrait la Russie et, par là, s’opposerait à elle. Napoléon avait d’autres idées. Il comprenait peut-être mieux que d’autres que ses victoires