Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dent et, désormais, se contentaient pour eux-mêmes du nom d’empereurs d’Autriche. C’était aussi restituer à la France le sceptre qu’avait porté Charlemagne. Comme Charlemagne lui-même, Napoléon voulut être couronné par le pape, et non pas à Rome, mais à Paris. Pie vii, après quelques hésitations, se rendit à son désir et, le 2 décembre, à Notre-Dame, on eut le spectacle extraordinaire du sacre, le soldat de la Révolution devenu l’oint du Seigneur. À ceux qui s’étaient émus du Concordat, qui s’effarouchaient bien davantage de cette apparente subordination à la papauté, Napoléon répliquait qu’il mettait le nouveau régime issu de la chute des Bourbons à l’abri de toute opposition religieuse, qu’il y attachait l’Église au lieu de s’attacher à elle, qu’il le légitimait aux yeux des catholiques du monde entier et se rendait, d’un seul coup, l’égal des souverains des plus vieilles maisons : il eut soin d’ailleurs de prendre la couronne des mains de Pie vii et de la placer lui-même sur sa tête. Mais ne pouvait-il oser tout ce qu’il voulait ? Il reconstituait une noblesse, il se composait une cour : il n’était rien que la France n’approuvât.

Né au milieu de cette satisfaction et de ces bénédictions, l’Empire qui réalisait le mariage des principes révolutionnaires avec les principes monarchiques, semblait aux Français comme le port où ils étaient sûrs de reposer après tant de convulsions épuisantes et terribles. Par le plus étrange des phénomènes, personne ne s’alarmait de ce qui rendait fragile tout cet éclat. L’Empire ne serait vraiment fondé, les conquêtes de la Révolution assurées, que le jour où la puissance britannique serait vaincue, et, on l’oubliait presque, nous étions en guerre avec elle.

Napoléon ne l’oubliait pas. Sa pensée, au moment où il distribuait des fonctions et des titres, était tout entière au camp de Boulogne. Il ne doutait pas que, pour venir à bout de l’Angleterre, il fallût frapper un grand coup chez elle, et, pour frapper ce grand coup, être libre, ne fût-ce que pendant un jour, de traverser la Manche. Il voyait distinctement que l’Angleterre travaillait à former une troisième coalition. Cette coalition, il était sûr de la battre, mais, à ce moment, il ne se dissimulait pas que cette nouvelle victoire sur les puissances continentales ne résoudrait rien de plus que les autres, tant que la grande