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mant un grand nombre de principautés ecclésiastiques et de villes libres, préparait la concentration et l’unité de l’Allemagne. L’Autriche catholique n’hésita pas plus à recevoir de l’héritier de la Révolution les dépouilles des princes-évêques que la Prusse protestante et libérale à prendre des mêmes mains des cités indépendantes. Cette simplification du chaos germanique, qui commençait la ruine du traité de Westphalie et qui faisait la part belle à la Prusse, devait avoir des conséquences funestes pour nous en agrandissant en Allemagne les plus forts aux dépens des plus faibles. Napoléon ne pensait pas plus à ce choc en retour qu’au danger de rapprocher les membres épars de la nation germanique. Cette combinaison impliquait de la part de Napoléon la croyance à un état de choses durable en Europe. Plus significative encore était sa préoccupation de rendre des colonies à la France : elle attestait sa confiance dans la solidité de la paix d’Amiens. Il avait obligé notre alliée l’Espagne à lui rétrocéder la Louisiane en échange de l’Étrurie constituée en royaume pour un infant. Il entreprenait de reconquérir Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti, la perle des Antilles, qui avait si longtemps fourni la France de sucre et de café, et qui, sous la Révolution, après une anarchie et des massacres épouvantables, était passée aux mains des noirs. Tous ces projets n’attestaient qu’un dessein, celui de s’installer dans la paix, celui de jouir des agrandissements immenses que la France avait reçus.

Mais il fallait mal connaître l’Angleterre pour se figurer qu’elle se résignerait à nous laisser reconstituer un empire colonial, reparaître sur les mers, possesseurs des plus belles côtes et des plus beaux ports depuis Rotterdam jusqu’à Gênes. Dès que la France aurait une marine, et elle travaillait à en reconstituer une, elle deviendrait un concurrent redoutable. On dira, et c’est ce que le gouvernement français ne manquait pas de représenter, que ces raisons, ces craintes auraient dû empêcher l’Angleterre de signer la paix d’Amiens, que rien n’était changé depuis 1802. Ce qui avait changé, c’étaient les dispositions du peuple anglais, celles des commerçants surtout qui s’apercevaient que l’expansion de la France leur avait enlevé en Europe une vaste clientèle. Le chômage, ce cauchemar de l’Angleterre, apparaissait et l’effrayait tandis que