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à ce moment-là. Les navires et les ports de l’Espagne et de la Hollande étaient à notre disposition, la Russie dans nos intérêts, les Scandinaves réunis dans une ligue des neutres qui fermait la Baltique au commerce anglais. De ces éléments, il eût été possible de tirer de grands résultats à la condition que notre marine, ruinée par la Révolution, fût rétablie. Elle ne l’était pas. Ses restes furent mis hors de combat avec les bâtiments espagnols et hollandais, la Russie nous échappait après l’assassinat mystérieux de Paul Ier, et le bombardement de Copenhague dispersait la ligue des neutres. Si le Premier Consul obtint la paix d’Amiens, ce fut par la ruse et le calcul. Il savait l’Angleterre fatiguée de la guerre, de l’argent qu’elle lui coûtait. En reprenant ostensiblement des plans de débarquement et d’invasion en Grande-Bretagne, pour lesquels des préparatifs avaient déjà été faits en 1797, il effraya le public anglais, et, les négociations s’étant ouvertes, il les dirigea vers un compromis qui rendait la paix d’Amiens fort semblable à la paix de Lunéville. Comme il avait dédommagé l’Autriche aux dépens des princes allemands, il dédommagea l’Angleterre aux dépens de nos alliés : Ceylan fut enlevé à la Hollande, la Trinité à l’Espagne. De cette transaction, où nous renoncions d’ailleurs à l’Égypte, perdue pour nous depuis que les communications par mer étaient coupées, la suprématie maritime et coloniale de l’Angleterre sortait accrue. Le traité d’Amiens (mars 1802) « lui fut, dans une large mesure, une revanche du traité de Versailles », celui de 1783.

Une paix ainsi conclue ne pouvait être qu’une trêve. En effet, malgré la chute de Pitt, les idées dominantes de la politique anglaise ne changeaient pas. Dans un pays d’opinion, le gouvernement avait cédé aux difficultés intérieures, au mécontentement du commerce qui attribuait à la prolongation de la guerre la fermeture des marchés continentaux. Quand, au bout de quelques mois, les hommes d’affaires anglais eurent compris que ces marchés leur étaient fermés, parce que la France tenait, avec la Belgique et la Hollande, les bouches de l’Escaut, la reprise de la guerre ne tarda plus.

La France, après le traité d’Amiens, s’était pourtant persuadée que la paix était définitive. Le Premier Consul lui-même partageait cette illusion. Il travaillait à créer un état de