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tion. Pour la première fois dans son histoire, la France avait atteint ses frontières dites « naturelles ». La Gaule de César était reconstituée. Elle l’était par la défaite de l’ennemie traditionnelle, la maison d’Autriche, et il semblait que la politique républicaine, héritière de la politique antiautrichienne, la politique de 1741, eût raison contre la politique des Bourbons. Déjà Bonaparte formait le projet de remanier l’Europe, de rassembler les peuples encore divisés, Allemands et Italiens, de créer, à la place des vieilles constructions historiques, des États nationaux, « naturels » eux aussi, et d’en prendre la direction. Abolir en Europe tout ce qui était « gothique », ce que les traités de Westphalie étaient destinés à conserver pour empêcher les rassemblements de nationalités contre la France, pour empêcher surtout l’unité germanique, faire table rase des vieilles institutions à l’extérieur comme à l’intérieur : c’était l’essai de réaliser un rêve, celui de la République universelle, sous la présidence du peuple français, et c’était encore une idée de la Révolution. On en trouvait l’origine chez ses orateurs comme chez les publicistes du dix-huitième siècle dont Bonaparte était le fils spirituel. Nul ne sait ce que fût devenu ce vaste système où la France occupait le premier rang, si l’Angleterre avait été vaincue. Mais l’Angleterre ne le fut pas. Et le système, ayant détruit nos sécurités et nos sauvegardes, ne devait pas tarder à se retourner contre nous.

L’Autriche avait signé la paix de Lunéville dans l’esprit où elle avait déjà, avec la Prusse et la Russie, partagé la Pologne, l’esprit de trafic qui s’était paré des principes contre-révolutionnaires. Comprenant que les temps avaient changé, elle mettait elle-même à l’encan le vieil Empire germanique, elle en partageait les dépouilles avec la France, sacrifiait les princes allemands, pour se fortifier par des annexions de territoires, ce qui lui permettrait bientôt de reprendre la lutte. Dans le même calcul, l’Angleterre, restée seule combattante, finit, l’année d’après, par entrer à son tour en négociations avec le Premier Consul.

Tout ce qui se passa en 1801 fournit la preuve que l’Angleterre, privée d’alliés, ne pouvait rien sur le continent contre la France, mais que, sur mer, Bonaparte était impuissant à l’atteindre. S’il eut jamais des chances d’y réussir, ce fut pourtant