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Si Bonaparte, dès 1797, a entrevu la conduite à tenir pour le cas où les circonstances lui offriraient un rôle politique en France, il avait des visées plus immédiates. Les temps étaient durs. Il fallait vivre. Les généraux, comme les autres, cherchaient, plus ou moins adroitement, à s’assurer du lendemain : Dumouriez s’était déjà trompé, Pichegru, empêtré dans ses intrigues, allait finir par le suicide. Bonaparte vit grand et vit juste. Son proconsulat d’Italie ne devait pas être éternel. Il inventa autre chose, une expédition d’Égypte, une entreprise d’Orient, glorieuse et fructueuse, moyen, auquel des Français avaient pensé pendant tout le dix-huitième siècle, de frapper l’empire anglais des Indes. Hoche s’était acharné à des projets de débarquement, toujours infructueux, dans le Pays de Galles et en Irlande. On n’y renonçait pas, mais, pour venir à bout des Anglais, il fallait tenter autre chose. Quelque aventureuse qu’elle fût, la proposition de Bonaparte fut acceptée par le Directoire.

L’expédition d’Égypte fut entreprise avec une marine mal reconstituée tandis que la flotte anglaise était devenue plus redoutable. Si Bonaparte eut le bonheur de débarquer son corps expéditionnaire sain et sauf, Nelson, peu de temps après, détruisait la flotte française à Aboukir (août 1798). Les escadres de l’Espagne et de la Hollande, nos alliées, étaient battues. Bonaparte avait conquis l’Égypte, mais s’y trouvait bloqué. La Russie et la Turquie déclaraient la guerre à la République. L’Autriche, à son tour, rompait les négociations de Rastadt, faisait même assassiner nos plénipotentiaires et rentrait dans une coalition plus forte que la précédente par le concours des Russes. Alors les choses commencèrent à mal tourner pour le Directoire. Aux observateurs attentifs, il pouvait apparaître déjà que les conquêtes de la Révolution étaient attachées avec des épingles, que les combinaisons de Républiques vassales étaient un château de cartes, que cette guerre avec une Europe dirigée par l’Angleterre devait finir mal pour la France. Championnet allait jusqu’à Naples comme au temps de Charles VIII. Le Pape était enlevé et transporté à Valence. Mais des insurrections éclataient en Italie. Souvarof, uni aux Autrichiens, entrait à Milan. En France, ces revers accroissaient l’impopularité du Directoire, gouvernement incapable,