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mais aucune force organisée avec eux, tandis que les partisans de la guerre pouvaient compter sur les Jacobins, les « patriotes » et les soldats. Ils attaquèrent violemment les royalistes, les modérés, confondus sous le nom de « faction des anciennes limites », et provoquèrent aux armées, avec la connivence des jeunes généraux, des adresses contre les ennemis de la République. On avait besoin, pour l’opération, d’un homme à poigne : Bonaparte envoya à Paris Augereau qui envahit la salle des Conseils, accompagné de Rossignol et de Santerre, revenants du jacobinisme, arrêta les députés qui protestaient, et se vanta, le lendemain du 18 fructidor, que son expédition eût réussi « comme un ballet d’opéra » (4 septembre 1797).

Les modérés avaient été « fructidorisés ». Ce fut une Terreur sèche, à peine moins cruelle que l’autre, l’échafaud étant remplacé par la déportation. Des députés, le directeur Barthélemy lui-même, furent envoyés à la Guyane avec de nombreux prêtres, dont beaucoup périrent. Les arrestations, les proscriptions, les persécutions recommencèrent sous l’influence des Jacobins auxquels la haute main avait été rendue par ce coup d’État.

De son « proconsulat d’Italie », le général Bonaparte, grand favori du Directoire, observait les événements. Il avait approuvé, aidé le 18 fructidor. Il en profita. Il vit que désormais le soldat était le maître, que le Directoire se rendrait impopulaire par son retour violent vers la gauche, que le besoin d’un gouvernement stable, rassurant pour les personnes et pour les biens, serait bientôt senti. Ce gouvernement, restaurateur de l’ordre et de l’autorité, appuyé sur des hommes qui n’avaient plus d’autres moyens d’existence que le métier militaire, devrait aussi conserver les résultats de la Révolution, dont Bonaparte lui-même n’était que le plus grand des parvenus. Il spéculait ainsi sur les deux tendances entre lesquelles les Français étaient partagés. Avant fructidor, le général Bonaparte, qui fait déjà de la politique, est le plus ardent à reprocher au parti de la paix de compromettre le fruit de ses victoires d’Italie. Après fructidor, il change d’attitude, il signe avec l’Autriche la paix de Campo-Formio, une paix de transaction qui renvoie les affaires les plus difficiles, celles d’Allemagne, à un futur Congrès, celui de Rastadt.